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« Mère, le Seigneur qui nous a donné à chacun nos talents reviendra un jour et nous demandera compte à tous de ce que nous en aurons fait. La théière ébréchée, le vieux bas, le lambeau de toile, la vieille terrine, rendront leur stérile dépôt dans beaucoup de maisons. Permettez au moins à vos filles de confier leur argent aux banquiers, afin qu’à la venue du maître elles puissent le lui rendre avec usure.

— Rose, avez-vous apporté votre patron à marquer, comme je vous l’avais dit ?

— Oui, mère.

— Asseyez-vous et faites une rangée de marques. »

Rose s’assit immédiatement et fit ce qui lui était ordonné. Après une pause de dix minutes, sa mère lui demanda :

« Est-ce que vous vous trouvez opprimée maintenant ? est-ce que vous vous regardez comme une victime ?

— Non, mère.

— Cependant, autant que je puis comprendre votre tirade, c’est une protestation contre toute occupation féminine et domestique.

— Vous l’avez mal interprétée, mère. Je serais fâchée de ne pas apprendre à coudre : vous avez raison de m’enseigner la couture et de me faire travailler.

— Même au raccommodage des bas de votre frère et à la confection des draps de lit ?

— Oui.

— Pourquoi crier et vous insurger contre cette occupation, alors ?

— Est-ce que je ne dois faire que cela ? Je ferai cela, et puis autre chose encore. Maintenant, mère, j’ai dit ce que j’avais à dire. J’ai douze ans, et, jusqu’à ce que j’en aie seize, je ne parlerai plus de talents : pour quatre années encore, je me fais votre industrieuse apprentie dans tout ce que vous voudrez m’enseigner.

— Vous voyez ce que sont mes filles, miss Helstone, dit mistress Yorke ; quelle précoce sagesse dans leur volonté ! « J’aimerais mieux ceci ; je préfère cela, » tel est le refrain de Jessie, pendant que Rose, d’un ton plus hardi, s’écrie : « Je veux, » et : « Je ne veux pas. »

— Je donne une raison, mère ; de plus, si ma parole est hardie, je ne la fais entendre qu’une fois par an. Vers chaque anniversaire de ma naissance, l’esprit me pousse à rendre un