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vous, et toujours devant vous, comme certaine lady enchantée d’un conte de fée, vous pourriez être plus heureuse que maintenant. Dans votre marche d’un jour vous traverseriez des montagnes, des bois, des cours d’eau, changeant perpétuellement d’aspect, soit que le soleil répande ou non sur eux ses rayons, soit que le temps soit pluvieux ou beau, sombre ou clair. Rien ne change dans la rectorerie de Briarfield. Le plâtre du plafond de votre parloir, le papier des murs, les rideaux, les tapis, les chaises, sont toujours les mêmes.

— Est-ce que le changement est nécessaire au bonheur ?

— Oui.

— Est-ce qu’il lui est synonyme ?

— Je ne sais ; mais pour moi la monotonie et la mort sont presque la même chose. »

Ici, Jessie prit la parole.

« Est-ce qu’elle n’est pas folle ? demanda-t-elle.

— Mais, Rose, continua Caroline, je crains que cette vie de courses perpétuelles ne finisse, pour moi du moins, comme le roman que vous lisez, par le désappointement, la déception, l’irritation d’esprit.

— Est-ce que l’Italien finit ainsi ?

— C’était ma pensée lorsque je le lus.

— Mieux vaut essayer de toutes choses et les trouver vides, que de ne rien essayer et mener une vie nulle. Agir ainsi, c’est commettre le péché de ce serviteur qui, méprisable fainéant ! enterra le talent que son maître lui avait confié.

— Rose, interrompit mistress Yorke, la satisfaction solide ne s’obtient que par l’accomplissement de ses devoirs.

— Très-bien, ma mère ! Et, si mon maître m’a confié dix talents, mon devoir est de les faire fructifier afin qu’ils en produisent dix autres, et non d’enterrer l’argent dans la poussière de mes tiroirs. Je ne le déposerai pas dans une théière ébréchée, pour le renfermer au milieu des tasses et des pots dans l’armoire à porcelaine. Je ne le confierai pas à votre table à ouvrage pour être étouffé sous une pile de bas de laine. Je ne l’emprisonnerai pas dans l’armoire à linge, parmi les draps ; et encore bien moins, ma mère (elle se leva à ces mots de dessus le plancher), encore bien moins le cacherai-je dans une terrine de pommes de terre froides pour être rangé avec le pain, le beurre, la pâtisserie et le jambon, sur les rayons du garde-manger. »

Elle s’interrompit un instant, puis continua :