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poir ou abattue par le chagrin, pensait-elle ; et cependant son petit cottage est un triste endroit, et elle n’a ni brillante espérance, ni ami dans le monde. Je me rappelle néanmoins qu’elle m’a dit une fois avoir accoutumé ses pensées à tendre toujours vers le ciel. Elle convenait qu’il n’y avait, et qu’il n’y avait jamais eu que peu de jouissances en ce monde pour elle ; et je suppose qu’elle a dirigé ses espérances vers le bonheur de la vie future. Ainsi font les religieuses, dans leur cellule fermée, avec leur lampe de fer, leur robe collante comme un suaire, leur lit étroit comme un cercueil. Elle dit souvent qu’elle n’a aucune crainte de la mort, aucune terreur de la tombe ; pas plus sans doute que saint Siméon Stylite en haut de sa terrible colonne, au milieu de la solitude sauvage, pas plus que l’Hindou fanatique étendu sur sa couche de pointes de fer. Mais ceux-là, ayant violé les lois de la nature, avaient leurs sympathies et leurs antipathies naturelles renversées. Ils étaient arrivés à un état morbide. Je crains encore la mort, mais je crois que c’est parce que je suis jeune : la pauvre miss Ainley s’attacherait davantage à la vie, si la vie avait plus de charme pour elle. Dieu ne nous a certainement pas créés et ne nous fait pas vivre pour que nous désirions continuellement la mort. Je crois intimement que nous avons été destinés à aimer la vie et à en jouir aussi longtemps qu’elle nous est donnée. Dieu, en nous donnant l’existence, n’a jamais entendu qu’elle soit cette chose pâle, inutile et languissante, qu’elle devient pour beaucoup, et pour moi en particulier.

« Personne, continua-t-elle, personne n’est à blâmer pour l’état dans lequel se trouvent les choses, autant du moins que je puis le voir, et je ne pourrais dire, après y avoir beaucoup réfléchi cependant, comment elles pourraient être améliorées ; mais je sens qu’il y a quelque chose de mal quelque part. Je crois que les femmes non mariées devraient avoir plus à faire, de plus intéressantes et surtout plus profitables occupations, qu’elles n’en possèdent maintenant. Et, lorsque je parle ainsi, je ne crois nullement offenser Dieu par mes paroles ; je ne crois pas être impie ou impatiente, irréligieuse ou sacrilége. Ce qui me console, du reste, c’est de penser que Dieu a compassion de bien des douleurs et entend bien des soupirs, auxquels les hommes ferment leurs oreilles ou qu’ils regardent avec un air de mépris impuissant. Je dis impuissant, car je vois qu’aux peines que la société ne peut