Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était pâle : son œil bleu, ordinairement calme, était errant, mobile, alarmé. Elle ne se perdit point cependant dans des exclamations, ou dans un récit précipité de ce qui était arrivé. Son sentiment prédominant avait été, dans le cours de la nuit, et était encore alors, un vif mécontentement d’elle-même de ne pouvoir se montrer plus ferme, plus froide, plus à la hauteur des circonstances.

« Vous savez, commença-t-elle d’une voix tremblante et avec le plus grand désir d’éviter l’exagération dans ce qu’elle était sur le point dédire ; vous savez qu’une bande d’émeutiers a attaqué cette nuit la fabrique de M. Moore. Nous avons entendu très-distinctement d’ici la fusillade et le tumulte ; personne de nous n’a dormi : ç’a été une triste nuit. La maison a été dans une grande agitation toute la matinée à cause des gens qui allaient et venaient : les domestiques se sont adressés à moi pour des instructions et des ordres que je ne me croyais réellement pas fondée à leur donner. M. Moore a, je crois, envoyé chercher des rafraîchissements pour les soldats et les autres personnes engagées dans la défense et aussi quelques objets nécessaires aux blessés. Je ne pouvais prendre sur moi la responsabilité de donner des ordres ou de prendre des mesures. Je crains que le retard n’ait été funeste en quelques cas ; mais cette maison n’est point la mienne : vous étiez absente, ma chère miss Keeldar ; que pouvais-je faire ?

— Est-ce que l’on n’a pas envoyé de rafraîchissements ? demanda Shirley, dont la contenance, tout à l’heure si calme, si bienveillante, si ouverte, même pendant qu’elle réprimandait les paysans, devint tout à coup sombre et animée.

— Je ne crois pas, ma chère.

— Et rien pour les blessés ? ni linge, ni vin, ni literie ?

— Je ne crois pas. Je ne puis dire ce qu’a fait mistress Gill ; mais il me semblait impossible en ce moment de disposer de votre propriété en envoyant des vivres aux soldats : des provisions pour une compagnie, c’est formidable. Je n’ai pas demandé combien ils étaient ; mais je ne pouvais consentir à leur laisser mettre la maison au pillage. J’avais l’intention d’agir pour le bien ; cependant, je l’avoue, je ne vois pas encore bien clairement cette affaire.

— Elle tient dans une coquille de noix, pourtant. Ces soldats ont risqué leur vie pour la défense de ma propriété ; il semble