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et un doux et vague murmure dont Caroline expliqua l’origine par cette remarque faite pendant qu’elle écoutait à la fenêtre :

« Shirley, j’entends le ruisseau de Hollow. »

Ensuite elle agita la sonnette, demanda de la lumière, et du pain et du lait, le souper habituel de miss Keeldar et le sien. Fanny, lorsqu’elle les eut servies, se disposait à fermer les fenêtres et les volets ; mais elle fut priée de n’en rien faire pour le moment : le crépuscule était trop calme, l’air trop embaumé pour qu’on y renonçât déjà. Elles prirent leur repas en silence : Caroline se leva une fois pour déposer sur la fenêtre un vase de fleurs qui était sur le buffet, et dont le parfum était trop fort pour cette chambre chaude. En revenant, elle ouvrit à demi un tiroir et y prit quelque chose qui brilla dans sa main.

« Vous m’avez assigné ceci, Shirley, n’est-ce pas ? C’est une arme brillante, admirablement affilée, et dont la vue fait frémir. Je n’ai jamais ressenti l’impulsion qui pourrait me porter à la diriger contre mon semblable. Il est difficile d’imaginer quelle circonstance pourrait donner à mon bras la force de frapper avec ce long couteau.

— Cela me répugnerait fortement, reprit Shirley ; mais je crois que je le pourrais, si j’y étais contrainte par certaines circonstances que je puis imaginer. »

Et miss Keeldar but tranquillement et à petits traits sa tasse de lait frais ; elle paraissait quelque peu pensive et était légèrement pâle. Mais n’était-elle pas toujours pâle ? jamais elle n’avait eu le teint animé.

Le souper fini, Fanny fut appelée de nouveau : on lui conseilla, ainsi qu’à Élisa, d’aller se coucher, ce qu’elles firent volontiers, car le service de la journée avait été très-rude pour elles. Bientôt on entendit se fermer la porte de leur chambre. Caroline prit la lumière et visita en détail toute la maison, s’assurant que chaque fenêtre était fermée, et chaque porte verrouillée. Elle n’évita pas même l’arrière-cuisine près du cimetière, ni la cave voûtée. Après cette minutieuse visite, elle revint.

« Il n’y a en ce moment à la maison ni esprit ni chair qui ne devraient pas y être, dit-elle. Il est près d’onze heures et grand temps de se coucher, et cependant j’aimerais à veiller encore un peu, Shirley, si vous n’y voyez pas d’objection. Voici les pistolets que j’ai apportés du cabinet de mon oncle ; vous pouvez les examiner à loisir. »