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que peu insensibles et durs aux souffrances humaines dans notre poursuite du lucre ; n’êtes-vous pas de mon avis, Joe ?

— Je ne puis discuter lorsque je ne puis être compris, fut encore la réponse.

— Homme de mystère ! votre maître consent bien à discuter quelquefois avec moi, Joe : il n’est pas aussi roide que vous.

— C’est possible ; nous avons chacun nos habitudes.

— Joe, pensez-vous sérieusement que toute la sagesse humaine soit logée dans les crânes mâles ?

— Je pense que les femmes sont une frivole et perverse génération, et j’ai un grand respect pour les doctrines émises dans le second chapitre de la première épître de saint Paul à Timothée.

— Quelles doctrines, Joe ?

— « Que la femme s’instruise dans le silence et la soumission. Je ne peux souffrir qu’une femme enseigne et usurpe une autorité sur l’homme ; mais elle doit garder le silence. Car Adam a été créé le premier, puis Ève. »

— Et quel rapport cela a-t-il avec les affaires ? s’écria Shirley. Cela consacre les droits de primogéniture. Je l’opposerai à M. Yorke la première fois qu’il lui arrivera de s’insurger contre ces droits.

— Et, ajouta Joe Scott, Adam ne fut point trompé ; mais la femme, s’étant laissé tromper, tomba dans le péché.

— Adam n’en fut que plus coupable de pécher les yeux ouverts, s’écria miss Keeldar. Pour vous parler franchement, Joe, je n’ai jamais pu comprendre ce chapitre : il est au-dessus de mon intelligence.

— Il est très-clair, miss ; l’enfant qui commence à courir peut le lire.

— Oui, le lire à sa façon, interrompit Caroline, qui, pour la première fois, prenait part à la conversation. Vous admettez le droit de jugement personnel, je suppose, Joe ?

— Certainement que je l’admets ! Je l’accorde et le réclame pour chaque ligne du saint livre.

— Et les femmes le peuvent exercer aussi bien que les hommes ?

— Non ; les femmes doivent avoir l’opinion de leur mari, en politique et en religion ; cela est plus salutaire pour elles.

— Oh ! oh ! s’écrièrent à la fois Shirley et Caroline.