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blement, miss, et les meurtres, et les accidents, et autres choses semblables.

— Je lis les articles de fond, Joe, et les nouvelles étrangères, et je jette un coup d’œil sur les prix des marchés ; enfin, je lis ce que lisent les gentlemen. »

Joe parut prendre cette causerie pour le bavardage d’une pie, et il y répondit par le plus dédaigneux silence.

« Joe, continua miss Keeldar, je n’ai jamais pu m’assurer convenablement si vous étiez whig ou tory ; je vous en prie, dites-moi quel parti a l’honneur de votre alliance.

— Il est assez difficile de s’expliquer lorsqu’on n’est pas sûr d’être compris, répondit Joe avec hauteur. Mais, quant à être tory, je préférerais plutôt être une vieille femme, ou une jeune, ce qui est un article plus frivole encore. Ce sont les tories qui font la guerre et ruinent le commerce ; et, si je suis d’un parti (quoique les partis politiques soient absurdes), je suis de celui qui est le plus favorable à la paix, et par conséquent aux intérêts mercantiles du pays.

— Eh bien ! moi aussi, Joe, partiellement du moins, répondit Shirley, qui prenait plaisir à faire enrager le contre-maître en persistant à parler de sujets auxquels, dans son opinion, comme femme, elle devait être tout à fait étrangère. J’ai aussi particulièrement à cœur l’intérêt de l’agriculture ; la raison en est que je ne veux pas voir l’Angleterre sous les pieds de la France, et que, si une partie de mon revenu me vient de la fabrique de Hollow, une plus grande partie me vient des terres qui l’environnent. Il ne serait pas juste, je pense, Joe, de prendre des mesures nuisibles aux fermiers.

— La rosée, à cette heure-ci, est dangereuse pour les femmes, fit observer Joe.

— Si vous faites cette remarque par intérêt pour moi, je dois vous avertir simplement que je suis insensible au froid. Je ne craindrais pas de garder la fabrique, pendant une de ces nuits d’été, armée de votre mousquet, Joe. »

Le menton de Joe était des plus proéminents ; il s’allongea à ces-mots de quelques pouces de plus encore.

« Mais pour en revenir à mes moutons, continua-t-elle, fabricante de drap et propriétaire de moulin et de ferme, comme je le suis, je ne puis m’ôter de la tête certaine idée que nous autres manufacturiers et gens d’affaires sommes quelquefois un peu, très-peu, égoïstes et bornés dans nos vues, et aussi quel-