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trie méridionale de ses traits, la coupe régulière de sa figure. Le spectateur ne s’aperçoit d’ailleurs de ces avantages qu’après l’avoir bien examiné, car une expression d’anxiété et quelque chose de hagard et de soucieux empêchent d’abord de remarquer la beauté de ce visage. Ses yeux sont grands et gris : leur expression est grave et méditative ; son regard est plutôt scrutateur que doux, plutôt pensif que joyeux. Lorsque ses lèvres se desserrent dans un sourire, sa physionomie est agréable ; non qu’elle soit même alors franche et gaie, mais on sent l’influence d’un certain charme paisible qui suggère l’idée, vraie ou fausse, d’une nature circonspecte et peut-être bienveillante, d’un cœur capable d’abnégation, d’indulgence et de fidélité. Il est jeune encore, il n’a pas plus de trente ans ; sa taille est haute et élancée, sa manière de parler est déplaisante : il a un accent étranger qui, malgré une négligence étudiée de prononciation et de diction, choque une oreille anglaise, et surtout une oreille du Yorkshire.

M. Moore, il est vrai, n’était Anglais qu’à moitié, tout au plus. Sa mère était étrangère, et lui-même avait vu le jour sur un sol étranger. D’une origine hybride, il avait probablement, sur beaucoup de points, des sentiments hybrides, spécialement sur le patriotisme. Il était incapable de s’attacher à un parti, à une secte, voire même à un climat et à des coutumes. Il est probable qu’il avait une tendance à isoler sa personne de toute communauté dans laquelle il pouvait avoir quelque chose à débattre, et qu’il croyait plus sage de désirer les intérêts de Robert Gérard Moore, à l’exclusion de toute considération de philanthropie et d’intérêt général. Le commerce était la profession héréditaire de Moore. Les Gérard d’Anvers avaient été marchands pendant les deux derniers siècles ; ils avaient possédé une grande fortune ; mais peu à peu les pertes, les spéculations désastreuses, avaient ébranlé les fondements de leur crédit ; leur maison, depuis douze ans, chancelait sur sa base, lorsque le choc de la Révolution française l’entraîna dans une ruine complète. Dans cette chute fut emportée la maison anglaise Moore, du Yorkshire, étroitement liée d’intérêts avec la maison d’Anvers, et dont l’un des associés, nommé Robert, résidant dans cette ville, avait épousé Hortense Gérard, espérant que son épouse hériterait de la part de son père, Constantin Gérard, dans les affaires de la maison. Elle n’hérita, comme nous venons de le voir, que du passif, et ce passif, bien que