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tité de livres de chandelle ; nous ne blanchissons pas pour la paroisse, et cependant j’ai examiné en silence des articles de savon et de poudre à blanchir montant à un chiffre fabuleux ; je ne suis point carnivore ; mistress Pryor et mistress Gill elle-même le sont peu, et cependant j’ai ouvert de grands yeux en voyant le total des comptes du boucher, qui prouvait ce fait, cette fausseté, je veux dire. Caroline, vous pouvez vous moquer de moi, mais vous ne pouvez me changer. Je suis poltronne sur certains points, je le sens. Il y a un bas alliage de lâcheté morale dans ma nature. J’ai rougi et baissé la tête devant mistress Gill, lorsqu’elle aurait dû implorer ma clémence. Il m’a été impossible de lui donner à entendre, à plus forte raison de lui prouver, qu’elle était une friponne. Je n’ai aucune dignité calme, aucun vrai courage.

— Shirley, comme vous vous calomniez ! Mon oncle, qui n’a pas l’habitude de bien parler des femmes, dit qu’il n’y a pas dix mille hommes dans toute l’Angleterre aussi véritablement courageux que vous.

— Je suis courageuse physiquement. Je n’ai jamais peur du danger. Je ne fus point émue quand le grand taureau rouge de M. Wynne, se dressant avec un mugissement devant moi lorsque je traversais seule la prairie des Primevères, baissa sa tête terrible et féroce et se précipita sur moi ; mais j’avais peur de voir la honte et la confusion sur le visage de mistress Gill. Vous avez deux fois, dix fois ma force d’esprit sur certains sujets, Caroline ; vous que rien ne pourrait engager à passer auprès d’un taureau, quelque doux qu’il paraisse, vous eussiez fermement fait voir à ma femme de charge qu’elle avait mal agi ; puis vous l’eussiez sagement et doucement réprimandée, et enfin, j’en suis persuadée, pourvu qu’elle se fût montrée repentante, vous lui eussiez généreusement pardonné. Je suis incapable d’agir ainsi. Cependant, en dépit de ces dépenses dans les limites de nos moyens, j’ai en main de l’argent avec lequel je dois réellement faire quelque bien. Les pauvres de Briarfield souffrent cruellement ; il faut qu’ils soient secourus. Que pensez-vous que je doive faire, Lina ? Ne vaudrait-il pas mieux leur distribuer l’argent en une fois ?

— Non, certainement, Shirley, vous ne devez pas agir ainsi. J’ai souvent remarqué que toute votre charité consiste à distribuer des shillings et des demi-couronnes d’une manière généreuse et négligente qui donne lieu à de perpétuels abus. Il vous