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« Vous vous trompez, dit Caroline un peu alarmée ; Robert n’est ni un fat ni un lovelace ; j’en puis répondre.

— Vous, en répondre ! Est-ce que vous pensez que je m’en fierai à vous sur ce sujet ? Il n’est pas de témoignage que je ne sois disposée à croire plutôt que le vôtre. Dans l’intérêt de Moore, vous vous couperiez la main droite !

— Mais je ne mentirais pas ; et, si je dis la vérité, je puis vous assurer qu’il n’a été que poli envers moi hier soir, voilà tout.

— Je ne vous ai pas demandé ce qu’il avait été, je peux le deviner : je le vis de la fenêtre prendre votre main dans ses longs doigts aussitôt qu’il eut passé ma porte.

— Cela n’est rien. Je ne suis pas une étrangère, vous le savez : je suis une ancienne connaissance, et de plus sa cousine.

— Je suis indignée, répondit miss Keeldar. Tout mon bonheur en ce moment, ajouta-t-elle, est détruit par ses manœuvres. Il s’interpose entre vous et moi ; sans lui nous serions inséparables ; c’est lui qui est cause des perpétuelles éclipses de notre amitié. À chaque instant il traverse et obscurcit le disque que je voudrais toujours voir lumineux ; à tout moment il me rend un objet d’ennui et de déplaisir pour vous.

— Non, Shirley ; non.

— J’ai dit la vérité. Vous n’avez pas éprouvé le besoin de ma société cette après-midi, et j’en ai été très-affligée. Vous êtes naturellement un peu réservée ; mais moi j’aime la société, je ne peux vivre seule. Si nous n’étions pas contrariées, je vous aime tant que je voudrais vous avoir en ma présence continuellement, et jamais il ne m’arrive, même pour une seconde, de désirer votre absence. Vous ne pouvez en dire autant par rapport à moi.

— Shirley, je peux dire tout ce que vous voudrez : Shirley, je vous aime !

— Vous me souhaiterez à Jéricho demain, Lina.

— Non. Chaque jour je me sens plus accoutumée, plus attachée à vous. Vous savez que je suis trop Anglaise pour me laisser entraîner tout d’un coup par une véhémente affection ; mais vous êtes si au-dessus du commun, vous êtes si différente de toutes les jeunes ladies, que je vous estime, je vous apprécie ; vous ne m’êtes jamais à charge, jamais. Croyez-vous à ma parole ?

— En partie, reprit miss Keeldar, avec un sourire quelque