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les paroles qui me viennent naturellement sur les lèvres, et je les prononce.

— Je vous écrirais, Shirley.

— Et que sont les lettres ? seulement une sorte de pis aller. Buvez du thé, Caroline : mangea quelque chose, vous ne mangez rien ; riez, soyez joyeuse, et restez à la maison. »

Miss Helstone secoua la tête et soupira. Elle comprenait quelle difficulté elle aurait à persuader qui que ce fût de l’assister ou de l’approuver dans ce changement de vie qu’elle croyait nécessaire. S’il lui était seulement donné de suivre son propre jugement, elle pensait qu’elle serait capable de trouver peut-être un rude mais efficace remède à ses souffrances ; mais ce jugement, fondé sur des circonstances qu’elle ne pouvait entièrement expliquer à personne, et moins à Shirley qu’à tout autre, semblait à tous les yeux, excepté aux siens, incompréhensible et fantasque, et était combattu en conséquence.

Il n’y avait réellement aucune nécessité pécuniaire présente qui pût la forcer à quitter une maison confortable et à « prendre une situation ; » et il y avait toute probabilité que son oncle pourrait de quelque façon pourvoir d’une manière permanente à ses besoins. Ainsi pensaient ses amis, et, aussi loin que leurs lumières permettaient de voir, ils raisonnaient juste ; mais des étranges souffrances de Caroline, qu’elle désirait si ardemment surmonter ou fuir, ils n’avaient aucune idée ; de ses nuits de tortures et de ses jours tourmentés, ils n’avaient aucun soupçon. C’était impossible à expliquer ; attendre et souffrir était son seul plan. Beaucoup de ceux qui manquent de nourriture et de vêtements ont une existence plus gaie, de plus brillantes perspectives qu’elle. Beaucoup, harassés par la pauvreté, sont dans une moins affligeante détresse.

« Est-ce que votre esprit est enfin calmé ? demanda Shirley, Consentiriez-vous à demeurer à la maison ?

— Je ne la quitterai pas contre le gré de mes amis, répondit-elle ; mais je pense qu’il viendra un temps où ils seront obligés de penser comme moi. »

Pendant cette conversation, mistress Pryor paraissait embarrassée. L’extrême réserve qui lui était habituelle lui permettait rarement de parler avec liberté ou d’interroger avec persistance. Il lui arrivait de penser à une foule de questions qu’elle ne se hasardait jamais à poser, de formuler dans son esprit des avis qu’elle ne donnait jamais. Si elle avait été seule