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— Nullement, quant à présent. Son nom est tout à fait effacé de la liste de mes amis.

— Pour quelle raison ? Que vous a-t-il fait ?

— Mon oncle et lui ne s’entendent pas sur la politique, » dit la douce voix de Caroline.

Elle eût beaucoup mieux fait de se taire en ce moment : ne s’étant presque pas mêlée à la conversation auparavant, il n’était pas alors convenable pour elle de le faire. Elle le comprit vivement aussitôt qu’elle eut lâché le mot, et rougit jusqu’aux yeux.

« Quelle est la politique de Moore ? demanda Shirley.

— Celle d’un marchand, répondit le recteur, étroite, égoïste, sans patriotisme. Cet homme ne cesse de parler et d’écrire contre la continuation de la guerre : il m’exaspère.

— La guerre ruine son commerce ; il me le disait encore hier. Mais quel autre grief avez-vous contre lui ?

— C’est bien assez de celui-là.

— Il a l’air d’un gentleman, dans le sens que j’attache à ce mot, et cela me fait plaisir de penser que je ne me trompe pas. »

Caroline arracha le pétale pourpré d’une des brillantes fleurs de son bouquet, et répondit d’une voix distincte :

« Assurément, c’est un gentleman. »

À cette courageuse affirmation, Shirley lança à la jeune fille, de ses yeux expressifs, un regard ferme et scrutateur.

« Vous êtes son amie, sans doute, dit-elle ; vous le défendez en son absence.

— Je suis à la fois son amie et sa parente, répondit-elle vivement ; Robert Moore est mon cousin.

— Oh ! alors, vous pouvez me renseigner sur son compte : faites-moi le portrait de son caractère. »

Caroline fut saisie d’un extrême embarras à cette demande : elle ne pouvait y répondre ; elle ne l’essaya pas. Son silence fut immédiatement couvert par mistress Pryor, qui se mit à adresser à M. Helstone de nombreuses questions touchant une ou deux familles du voisinage, dont elle dit connaître les parents qui habitaient le Sud. Bientôt Shirley cessa d’attacher son regard sur le visage de miss Helstone. Elle ne réitéra pas ses interrogations, mais, retournant à ses fleurs, elle se mit à composer un bouquet pour le recteur. Elle le lui présenta lorsqu’il prit congé, et reçut en retour un baiser sur la main.

« Ayez soin de le porter en souvenir de moi, dit-elle.