Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bord du précipice de la faillite, nul ne lutta avec plus de vigueur contre les influences qui pouvaient l’y précipiter. Tout ce qu’il put faire pour fomenter l’agitation dans le Nord contre la guerre, il le fit, et il en fit agir d’autres qui, par leur argent et leurs relations, avaient plus de pouvoir que lui. De temps à autre, il sentait qu’il y avait peu de raison au fond des demandes que son parti adressait au gouvernement. En voyant toute l’Europe, menacée par Bonaparte, s’armer pour lui résister ; en voyant la Russie se lever ferme et terrible pour défendre son sol glacé, ses serfs, le despotisme de son gouvernement contre le joug d’un étranger victorieux, il sentait que l’Angleterre, un royaume libre, ne pouvait forcer ses enfants à faire des concessions et à subir des conditions contraires à ses intérêts et à ses alliances. Quand arrivaient de temps en temps les nouvelles des mouvements de l’homme qui représentait l’Angleterre dans la Péninsule, de sa marche de succès en succès, de cette marche si délibérée et si prudente, si circonspecte, mais si certaine, si lente mais si persévérante ; lorsqu’il lisait les propres dépêches de lord Wellington dans les colonnes des journaux, documents écrits par la modestie sous la dictée de la vérité, Moore confessait au fond de son cœur que du côté des armes britanniques se trouvait un pouvoir vrai, vigilant, patient, sans ostentation, qui leur assurerait à la fin la victoire. Mais cette fin, pensait-il, était bien loin encore ; et en attendant, lui, Moore, comme individu, serait renversé, et ses espérances réduites en cendres. C’était donc pour lui qu’il fallait agir ; il fallait qu’il poursuivît sa carrière et remplît sa destinée. Il la remplit si rigoureusement, qu’avant qu’il fût longtemps il arriva à une rupture décisive avec son vieil ami tory, le recteur. Ils se prirent de querelle dans un meeting public, puis échangèrent quelques lettres un peu vives dans les journaux. M. Helstone dénonça Moore comme jacobin, cessa de le voir et ne voulut même plus lui adresser la parole lorsqu’ils se rencontraient. Il intima aussi très-clairement à sa nièce que toutes communications avec Hollow devaient cesser, et qu’elle devait renoncer à ses leçons de français, langue frivole dont les productions ne pouvaient avoir qu’une funeste influence sur l’esprit des femmes. Il se demandait quel niais avait pu amener la mode de faire apprendre le français aux femmes, rien ne leur pouvant moins convenir : c’est comme si on nourrissait un enfant rachitique avec de la craie ou de la bouillie, disait-il. Caro-