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tournées au régicide. Mike n’ignore point l’histoire. Il est curieux de l’entendre donner la liste des tyrans dont, comme il dit, « le vengeur du sang a obtenu satisfaction. » Cet homme se réjouit étrangement du meurtre commis sur des têtes couronnées ou sur d’autres têtes pour des raisons politiques. J’ai déjà entendu dire qu’il avait une étrange aversion pour Moore. Est-ce là ce que vous voulez dire, Sweeting ?

— Vous n’employez pas le mot propre, monsieur. M. Hall pense qu’il n’a aucune haine personnelle envers Moore ; il dit qu’il aime même à lui parler et à courir après lui, mais il désire qu’il soit choisi pour faire un exemple. Il l’exaltait, l’autre jour, devant M. Hall, comme le marchand de drap qui a le plus de cervelle de tout le Yorkshire, et c’est pour cette raison qu’il affirme qu’il devrait être choisi comme un sacrifice, une oblation de suave odeur. Pensez-vous que Mike Hartley possède sa raison, monsieur ? demanda Sweeting avec simplicité.

— Je ne pourrais le dire, Davy ; il peut être fou, n’être seulement que rusé, ou peut-être un peu l’un et l’autre.

— Il dit qu’il a des visions, monsieur.

— Oui, c’est un vrai Ézéchiel ou un Daniel pour les visions. Vendredi dernier, juste au moment où je venais de me mettre au lit, il vint m’en décrire une qu’il avait eue dans le parc de Nunnely, l’après-midi même.

— Dites-la, monsieur ; quelle était-elle ? demanda Sweeting.

— Davy, tu as dans le crâne un énorme organe de merveilleux ; Malone, que voilà, n’en a aucun ; ni les meurtres ni les visions ne l’intéressent. Vois quel gros et insouciant Saph il paraît en ce moment.

— Saph ! qui était Saph, monsieur ?

— J’étais sûr que vous ne le connaissiez pas ; vous le trouverez. C’est un personnage biblique. Je ne sais absolument de lui que son nom et sa race. Mais, depuis mon enfance, j’ai toujours attaché une personnalité à Saph. Soyez-en sûr, il était honnête, lourd et malheureux. Il trouva la mort à Gob, par la main de Sibbechai.

— Mais la vision, monsieur ?

— Davy, tu l’entendras. Donne est occupé à se mordre les ongles et Malone à bâiller ; aussi je ne la dirai qu’à toi. Mike est sans ouvrage, comme beaucoup d’autres, malheureusement. M. Grame, l’intendant de sir Philip Nunnely, lui donna quelque chose à faire au prieuré. Selon son récit, il était occupé à tailler