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respire à peine un autre air que celui des fabriques et des marchés, il paraît singulier de prononcer son nom dans des prières ou d’associer son idée avec quelque chose de divin ; il semble très-étrange qu’un cœur bon et pur s’en empare et lui donne un refuge, comme s’il avait des droits à cette sorte d’abri. S’il m’était donné de guider ce cœur généreux, je crois que je lui conseillerais de ne plus s’occuper de celui qui ne voit pas dans la vie de but plus élevé que de réparer sa fortune ruinée, et d’effacer de son écusson bourgeois la tache infamante de la banqueroute. »

L’allusion, quoique faite ainsi avec tendresse et modestie (comme le pensait Caroline), fut profondément sentie et clairement comprise.

« Eh bien, je pense seulement, ou je penserai seulement à vous comme à mon cousin, répondit-elle vivement. Je commence à comprendre mieux les choses que je ne les comprenais lorsque vous vîntes en Angleterre, mieux qu’il y a une semaine, mieux qu’hier. Je sais que votre devoir est de faire tous vos efforts pour vous élever, et qu’il ne vous convient pas d’être sentimental ; mais à l’avenir vous ne devrez pas mal interpréter mes sentiments lorsqu’ils vous seront favorables. Vous ne m’avez pas comprise ce matin, n’est-ce pas ?

— Qu’est-ce qui vous a fait penser ainsi ?

— Votre air, vos manières.

— Mais regardez-moi maintenant.

— Oh ! vous êtes tout autre ; à présent j’ose vous parler.

— Cependant je suis le même, excepté que j’ai laissé le marchand là-bas, à Hollow ; votre cousin seul est devant vous.

— Mon cousin Robert ? non, M. Moore.

— Rien de M. Moore. Caroline… »

En ce moment on entendit la société se lever dans l’autre chambre ; la porte fut ouverte, la voiture demandée, ainsi que les châles et les chapeaux ; M. Helstone appela sa nièce.

« Il faut que j’aille, Robert.

— Oui, il faut que vous alliez, ou ils entreront et nous trouveront ici ; et moi, plutôt que de rencontrer cette armée au passage, je m’en irai par la fenêtre ; heureusement elle s’ouvre comme une porte. Une minute seulement, baissez la chandelle un instant ; bonsoir. Je vous embrasse parce que nous sommes cousins, et, étant cousins, un, deux, trois baisers sont permis. Caroline, bonsoir ! »