Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/102

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il était fort populaire parmi elles. En réalité, cependant, il ne respectait ni n’aimait le sexe, et celles que les circonstances avaient mises en relations intimes avec lui l’avaient toujours plus redouté qu’aimé.

Les vicaires durent se placer comme ils purent. Sweeting, le moins embarrassé des trois, se réfugia auprès de mistress Sykes, qui l’aimait comme s’il eût été son fils. Donne, après avoir salué la société avec une grâce à lui particulière, et demandé d’un ton prétentieux à Mlle Helstone des nouvelles de sa santé, se laissa tomber dans un siège à côté de Caroline, visiblement ennuyée du voisinage, car elle avait pour Donne, à cause de son imperturbable vanité et de son esprit étroit, une antipathie spéciale. Malone, marmottant d’une façon inintelligible, se plaça de l’autre côté. Caroline se trouva donc entre deux protecteurs dont elle savait parfaitement ne devoir tirer aucune utilité, ni pour la conversation, ni pour passer les tasses et la pâtisserie.

Malone, intarissable causeur avec les hommes, était muet comme un poisson en présence des dames. Il avait cependant trois phrases toutes faites, qu’il ne manquait jamais de produire.

1o Êtes-vous allée vous promener aujourd’hui, miss Helstone ?

2o Y a-t-il longtemps que vous n’avez vu votre cousin Moore ?

3o Votre classe à l’école du dimanche est-elle toujours aussi nombreuse ?

Lorsque Malone eut adressé ces trois questions et que Caroline y eut répondu, il régna entre eux un parfait silence.

Avec Donne, c’était autre chose : il était insupportable. Il avait une provision de petits mots les plus vulgaires et les plus pervers qui se pussent imaginer : des critiques sur les habitants de Briarfield et du Yorkshire en général ; des plaintes sur l’absence de haute société, sur l’état arriéré de la civilisation dans ces districts ; des murmures contre la conduite peu respectueuse des basses classes dans le Nord envers les classes élevées ; des railleries sur la manière de vivre de ces comtés, sur le manque de bon ton, l’absence d’élégance, comme si lui, Donne, avait été accoutumée vivre dans les hautes sphères, prétentions auxquelles ses manières communes et sa tournure donnaient le plus complet démenti. Tels étaient les traits qui, selon lui, devaient