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abondant repas du soir, j’eus le plaisir d’apercevoir la « madame », un personnage dont jamais auparavant je n’avais encore soupçonné l’existence. Je saluai et j’attendis, pensant qu’elle m’offrirait de prendre un siège. Elle, cependant, me regardait, adossée à sa chaise, et restait muette et sans mouvement.

— Un dur temps, remarquai-je. J’ai peur, madame Heathcliff, que la porte ne subisse la conséquence de la façon indolente dont vos domestiques font leur service : j’ai eu bien du travail pour les amener à m’entendre.

Elle continuait à ne pas ouvrir la bouche. Je la fixais, elle me fixait aussi ; en tous cas, elle tenait ses yeux attachés sur moi d’une façon froide et sans regard, infiniment embarrassante et désagréable.

— Asseyez-vous, me dit d’un ton bourru le jeune homme, il ne va pas tarder à rentrer.

J’obéis ; je fis : hem ! j’appelai la vilaine Junon qui daigna, à cette seconde entrevue, agiter l’extrémité de sa queue, pour me faire signe qu’elle avouait me reconnaître.

— Une belle bête, repris-je. Avez-vous l’intention de vous séparer des petits, madame ?

— Ils ne sont pas à moi, dit l’aimable hôtesse, d’un ton moins engageant encore que celui qu’aurait mis Heathcliff à une telle réponse.

— Ah, vos favoris sont parmi ceux-là ! continuai-je, me tournant vers un coussin sombre où je voyais quelque chose comme des chats.

— Un singulier choix pour des favoris, observa-t-elle avec dédain.

— Je n’avais pas de chance : c’était un tas de lapins morts. Je recommençai à faire : hem ! et je me rapprochai du foyer, répétant ma réflexion sur la rudesse de la soirée.

— Vous n’auriez pas dû sortir, me dit la dame en