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Dans les premiers temps, Heathcliff — je devrais dire désormais M. Heathcliff — n’usa qu’avec réserve de la liberté de venir à Thrushcross Grange : il semblait vouloir juger jusqu’à quel point mon maître supporterait son intrusion. Catherine, de son côté, avait cru à propos de modérer l’expression de son plaisir en le recevant ; et c’est ainsi qu’il se constitua, par degrés, le droit de venir. Il gardait beaucoup de la réserve qui l’avait caractérisé dans son enfance, et cela lui permettait de réprimer toute démonstration trop vive de ses sentiments. Le malaise de mon maître s’endormit et des circonstances ultérieures vinrent lui donner quelque temps une autre direction.

Il trouva en effet une nouvelle source d’ennuis en constatant le fait imprévu qu’Isabella Linton éprouvait une attraction soudaine et irrésistible vers le nouvel hôte. Elle était alors une charmante jeune dame de dix-huit ans : enfantine dans ses manières, bien que possédant un esprit fin, des sentiments subtils et aussi un caractère mordant, pour peu qu’on l’irritât. Son frère, qui l’aimait tendrement, fut ébahi de cette préférence fantastique. Laissant de côté la honte d’une alliance avec un homme sans nom, et la possibilité pour sa propre fortune, à défaut d’héritier mâle, de passer entre les mains d’un tel individu, il avait assez de sens pour comprendre la disposition réelle d’Heathcliff : pour savoir que, malgré les changements de son extérieur, sa nature n’avait pas changé et ne pouvait changer. Et cette nature l’épouvantait, le révoltait ; un pressentiment le faisait tressaillir à l’idée de lui confier Isabella. Sa répulsion aurait été bien plus vive encore s’il s’était aperçu que l’amour de sa sœur était né sans être sollicité, et s’adressait à un homme qui n’y répondait en aucune façon : car lui, du moment qu’il avait découvert ce penchant d’Isabella, il en avait mis la faute sur un dessein prémédité d’Heathcliff.