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lui appartenaient. C’était bien assez que, dans le petit cabinet de toilette, des vêtements qu’on disait être à elle eussent remplacé ma robe de Lowood et mon chapeau de paille ; car certainement cette robe gris perle, ce voile léger suspendus au portemanteau, n’étaient point à moi. Je fermai la porte pour ne pas apercevoir ces vêtements, qui, grâce à leur couleur claire, formaient comme une lueur fantastique dans l’obscurité de ma chambre. « Restez seuls, dis-je, vous qui éveillez des songes étranges ! Je suis fiévreuse ! j’entends le vent siffler, et je vais descendre pour me rafraîchir à son souffle. »

Je n’étais pas agitée seulement par l’activité des préparatifs et par la pensée de la vie nouvelle qui demain allait commencer pour moi. Ces deux choses concouraient sans doute à me donner cette agitation, qui me poussa à errer dans les champs à une heure aussi avancée ; mais il y avait une troisième cause plus forte que les autres.

Mon cœur était tourmenté par une idée étrange et douloureuse ; il m’était arrivé une chose que je ne pouvais comprendre ; seule, j’en avais connaissance. L’événement avait eu lieu la nuit précédente. Ce jour-là, M. Rochester s’était absenté de la maison et n’était point encore revenu ; des affaires l’avaient appelé dans une de ses terres, éloignée d’une trentaine de milles, et il fallait qu’il s’en occupât lui-même avant de quitter l’Angleterre. J’attendais son retour pour soulager mon esprit et chercher avec lui la solution de cette énigme qui m’inquiétait. Lecteurs, attendez avec moi, et vous aurez part à ma confidence, quand je lui révélerai mon secret.

Je me dirigeai du côté du verger, afin d’y trouver un abri contre le vent qui, pendant toute la journée, avait soufflé du sud sans pourtant amener une goutte de pluie. Au lieu de cesser, il semblait augmenter ses mugissements ; les arbres pliaient tous du même côté, sans jamais se tordre en différents sens ; ils relevaient leurs branches à peine une fois dans une heure, tant était violent et continuel le vent qui inclinait leurs têtes vers le nord. Les nuages couraient rapides et épais d’un pôle à l’autre ; et, dans cette journée de juillet, on n’avait pas vu un coin de ciel bleu.

J’éprouvais un plaisir sauvage à courir sous le vent, et à étourdir mon esprit troublé, au sein de ce torrent d’air qui mugissait dans l’espace. Après avoir descendu l’allée de lauriers, je regardai le marronnier frappé par la foudre. Il était noir et flétri ; le tronc fendu bâillait comme un fantôme ; les deux côtés de l’arbre n’étaient pas complètement séparés l’un de l’autre, la base vigoureuse