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Ce que j’avais de mieux à faire, c’était de lui obéir en silence, car je n’avais plus de raison pour causer avec lui. Je montai les marches sans dire un mot et résolue à le quitter avec calme ; mais quelque chose me retenait, une force irrésistible me contraignit à me retourner ; je m’écriai, ou plutôt un sentiment que je ne pouvais maîtriser s’écria, en dépit de ma ferme volonté :

« Merci, monsieur Rochester, merci de votre grande bonté ; je suis bien heureuse d’être revenue près de vous, et où vous êtes, là est ma demeure, ma seule demeure ! »

Alors je me mis à marcher si vite que, s’il eût voulu me rattraper, il aurait eu de la peine. La petite Adèle devint presque folle de joie quand elle me revit ; Mme Fairfax me reçut avec sa bonté ordinaire, Leah me sourit, et Sophie elle-même me dit bonsoir d’un air joyeux ; tout cela me parut très agréable. Il n’y a pas de bonheur plus grand que d’être aimé par ses semblables, et de sentir que votre présence est une joie pour eux.

Ce soir-là, je fermai résolument les yeux pour ne pas voir l’avenir ; je me bouchai les oreilles pour ne pas entendre la voix qui m’annonçait une prochaine séparation et des tristesses prochaines. Le thé achevé, Mme Fairfax prit son tricot, je m’assis sur une petite chaise près d’elle, et Adèle, agenouillée sur le tapis, se pressa contre moi ; un sentiment de mutuelle affection semblait nous avoir entourées d’un cercle de paix ; alors, dans le silence de mon âme, je priai Dieu de ne pas nous séparer trop tôt. Nous étions ainsi groupées, lorsque M. Rochester entra sans s’être fait annoncer ; il sembla satisfait en nous voyant si unies.

« Madame Fairfax, dit-il, doit être bien contente d’avoir retrouvé sa fille d’adoption, et je vois qu’Adèle est toute prête à croquer sa petite maman anglaise. »

En l’entendant ainsi parler, j’espérai presque que, même après son mariage, il pourrait peut-être nous laisser toutes ensemble, nous placer dans quelque abri protégé par lui et que sa présence viendrait de temps en temps réjouir.

Thornfield resta quinze jours dans un calme complet. On ne parlait plus du mariage de M. Rochester, et aucun préparatif ne se faisait. Presque tous les jours, je demandais à Mme Fairfax si elle avait entendu dire quelque chose de définitif ; sa réponse était toujours négative. Une fois, elle me dit avoir demandé à M. Rochester quand il amènerait sa femme au château : il ne lui avait répondu que par une plaisanterie et un regard étrange, et elle ne savait qu’en conclure.

Il y avait encore une chose qui m’étonnait beaucoup : c’est que personne de la famille Ingram ne venait au château, et que