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Georgiana disait qu’elle craignait de rester seule avec sa sœur, car elle ne pouvait trouver près d’elle ni sympathie pour ses tristesses ni soutien pour ses terreurs ; elle ne voudrait même pas l’aider dans ses préparatifs. Je fus donc obligée de supporter aussi bien que possible les plaintes et les lamentations de cet esprit faible, et je fis de mon mieux pour coudre et emballer ses toilettes. Il est vrai que, pendant que je travaillais, elle se reposait, et je pensais en moi-même : « Si nous étions destinées à vivre ensemble, ma cousine, nous commencerions les choses différemment ; je ne m’accommoderais pas de tout supporter ainsi ; je vous laisserais votre part de travail, et si vous ne la faisiez pas, eh bien, personne n’y toucherait ; je vous demanderais aussi de garder pour vous quelques-unes de ces plaintes à moitié sincères ; mais comme nos rapports doivent être très courts et ont commencé sous de tristes auspices, je consens à être facile et patiente. »

Enfin Georgiana partit ; ce fut alors Éliza qui me pria de rester encore une semaine ; ses plans, disait-elle, demandaient tout son temps et toute son attention ; elle devait se rendre dans un pays inconnu. Elle s’enfermait dans sa chambre, et y restait toute la journée à remplir des malles, à vider des tiroirs et à brûler des papiers ; elle n’avait de communication avec personne ; elle me demanda de surveiller la maison, de recevoir les visites et de répondre aux lettres de condoléance.

Un matin, elle me dit que j’étais libre, et elle ajouta :

« Je vous remercie de vos services et de votre conduite discrète ; il y a une grande différence entre vivre avec quelqu’un comme vous ou avec Georgiana ; vous accomplissez votre tâche dans la vie et vous n’êtes à charge à personne. Demain, continua-t-elle, je pars pour le continent ; j’irai m’installer dans une maison religieuse, près de Lille ; un couvent, comme vous diriez. Là, je serai tranquille ; pendant quelque temps, j’étudierai le dogme catholique et j’examinerai soigneusement ce système religieux ; si, comme je le crois, il est combiné pour que toute chose soit faite décemment et en ordre, j’accepterai les lois de Rome et je prendrai probablement le voile. »

Je n’exprimai aucune surprise, lorsqu’elle m’apprit sa résolution, et je n’essayai nullement de la dissuader. « Voilà qui vous convient parfaitement, pensai-je au contraire ; Dieu veuille que cela vous fasse du bien ! »

Quand nous nous séparâmes, elle me dit :

« Adieu, cousine Jane ; je vous souhaite du bonheur ; vous avez passablement de bon sens.