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un homme de loi capable ; tous deux se mirent de mon côté, et je fus victorieuse. Les affaires furent réglées. Saint-John, Marie, Diana et moi, nous entrâmes en possession de notre fortune.




CHAPITRE XXXIV.


Quand tout fut achevé, on approchait de Noël ; c’était le moment des vacances ; je fermai l’école de Morton, après avoir pris mes mesures pour que la séparation ne fût pas stérile, du moins de mon côté. La bonne fortune ouvre la main aussi bien que le cœur ; donner un peu quand on a beaucoup reçu, c’est simplement ouvrir un passage à l’ébullition inaccoutumée des sensations. Depuis longtemps je m’étais aperçue avec joie que beaucoup de mes écolières m’aimaient, et, quand nous nous séparâmes, je le vis plus clairement encore ; elles me manifestèrent leur affection avec force et simplicité. Ma reconnaissance fut grande en voyant que j’avais vraiment une place dans ces cœurs d’enfants ; je leur promis que chaque semaine j’irais les visiter et leur donner une heure de leçon.

M. Rivers arriva au moment où, après avoir examiné l’école, compté les élèves dont le nombre se montait à soixante, les avoir fait défiler devant moi et avoir fermé la porte, j’étais debout, la clef à la main, occupée à faire des adieux particuliers à une demi-douzaine de mes meilleures élèves. Il aurait été impossible de trouver chez aucun fermier anglais des jeunes filles plus décentes, plus respectables, plus modestes et mieux élevées ; et c’est beaucoup dire : car, après tout, les paysans anglais sont les mieux élevés, les plus polis et les plus dignes de toute l’Europe. J’ai vu depuis des paysannes françaises et allemandes ; les meilleures m’ont paru ignorantes, grossières et stupides, comparées à mes enfants de Morton.

« Trouvez-vous que votre récompense soit assez grande pour toute une saison de travail ? me demanda M. Rivers quand les enfants furent partis ; n’êtes-vous pas heureuse de vous dire que vous avez fait un bien véritable à vos frères ?

— Sans doute.

— Et vous n’avez travaillé que quelques mois. Ne trouvez-vous pas qu’une vie dévouée à la régénération des hommes serait bien employée ?