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dans sa bouche, son nez et son front, quelque chose qui semblait indiquer l’inquiétude, la dureté ou la passion. Il ne me dit pas un mot, ne me regarda pas une seule fois, jusqu’à ce que ses sœurs fussent de retour. Diana, qui allait et venait pour préparer le thé, m’apporta un petit gâteau cuit dans le four.

« Mangez cela maintenant, me dit-elle ; vous devez avoir faim ; Anna m’a dit que depuis le déjeuner vous n’aviez mangé qu’un peu de gruau. »

J’acceptai, car mon appétit était aiguisé. M. Rivers ferma alors son livre, s’approcha de la table, et, au moment où il s’assit, fixa sur moi ses yeux bleus, semblables à ceux d’un tableau. Son regard était si direct, si scrutateur, et indiquait tant de résolution, qu’il fut bien évident pour moi que, si M. Rivers ne m’avait pas encore examinée, c’était avec intention et non pas par timidité.

« Vous avez très faim ? me dit-il.

— Oui, monsieur, » répondis-je.

Il était dans ma nature de répondre brièvement à une question brève, et simplement à une question directe.

« Il est heureux, reprit-il, que la fièvre vous ait forcée à vous abstenir ces trois derniers jours : il y aurait eu du danger à céder dès le commencement à votre appétit vorace. Maintenant vous pouvez manger, mais il faut pourtant de la modération. »

Ma réponse fut à la fois impolie et maladroite.

« J’espère, monsieur, dis-je, que je ne me nourrirai pas longtemps à vos dépens.

— Non, répondit-il froidement ; quand vous nous aurez indiqué la demeure de vos amis, nous leur écrirons et vous leur serez rendue.

— Je vous dirai franchement qu’il n’est pas en mon pouvoir de le faire, car je n’ai ni demeure ni amis. »

Tous trois me regardèrent, mais sans défiance ; leurs regards n’exprimaient pas le soupçon, mais plutôt la curiosité. Je parle surtout des deux jeunes filles : car, bien que les yeux de Saint-John fussent limpides dans le sens propre du mot, au figuré il était presque impossible d’en mesurer la profondeur ; c’étaient plutôt des instruments destinés à sonder les pensées des autres que des agents propres à révéler les siennes. Sa réserve et sa perspicacité étaient plutôt faites pour embarrasser que pour encourager.

« Voulez-vous dire, reprit-il, que vous n’avez aucun parent ?