que les battements de mon cœur venaient de s’arrêter, et je fus obligée d’attendre un instant ; là non plus on ne dormait pas. M. Rochester marchait avec agitation d’un bout de la pièce à l’autre, et il soupirait sans cesse. Si je le voulais, il y avait dans cette chambre tout un paradis pour moi, du moins un paradis d’un moment ; je n’avais qu’à entrer et à dire : « Monsieur Rochester, je vous aimerai ; je demeurerai avec vous jusqu’à la mort ; » et alors mes lèvres se seraient rafraîchies à une source de délices. J’y pensai un instant.
« Ce maître plein de bonté, et qui ne peut pas dormir, attend le jour avec impatience, me dis-je ; demain matin il m’enverra demander, et je serai partie ; il me fera chercher, et en vain ; il se sentira abandonné, il verra que je repousse son amour, il souffrira et tombera peut-être dans le désespoir. »
Je pensai à tout cela, ma main se dirigea vers le loquet ; mais je la retirai vivement et je m’enfuis.
Je descendis tristement l’escalier ; je savais ce que j’avais à faire et je le faisais machinalement. Je cherchai dans la cuisine la clef de la porte de côté, un peu d’huile et une plume afin de graisser la clef et la serrure ; je pris du pain et de l’eau, car j’allais peut-être avoir une longue course à faire, et je ne voulais pas voir mes forces, déjà si épuisées, me manquer tout à coup ; je fis tout cela dans le plus grand silence. J’ouvris la porte, je passai et je la refermai doucement. Le matin commençait à poindre dans la cour ; les grandes portes étaient fermées à clef ; heureusement, le guichet de l’une d’elles n’était fermé qu’au loquet : j’en profitai pour sortir, puis je la poussai derrière moi : J’étais maintenant hors de Thornfield.
À une distance d’un mille, au delà des champs, s’étendait une route qui allait dans la direction contraire à Millcote ; je n’avais jamais parcouru cette route, mais souvent je l’avais remarquée et je m’étais demandé où elle conduisait : ce fut de ce côté-là que je dirigeai mes pas. Je ne devais plus me permettre aucune réflexion ; je ne devais plus jeter de regards ni en arrière ni en avant. Je ne devais plus enfin accorder une seule pensée, soit au présent, soit à l’avenir : le premier était à la fois si doux et si profondément triste, que d’y songer seulement me retirerait tout courage et toute énergie ; le dernier était confus et terrible comme le monde après le déluge.
Je longeai les champs, les haies et les sentiers jusqu’au lever du soleil ; je crois que c’était par une belle matinée d’été. Mes souliers, que j’avais mis en quittant la maison, furent bientôt mouillés par la rosée ; mais je ne regardais ni le soleil levant, ni