Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui résisterais ; si elle me frappait avec des verges, je les lui arracherais des mains ; je les lui briserais à la figure !

— Il est probable que non ; mais si vous le faisiez, M. Brockelhurst vous chasserait de l’école, et ce serait un grand chagrin pour vos parents. Il vaut bien mieux supporter patiemment une douleur dont vous souffrez seule que de commettre un acte irréfléchi, dont les fâcheuses conséquences pèseraient sur toute votre famille ; et d’ailleurs, la Bible nous ordonne de rendre le bien pour le mal.

— Mais il est dur d’être frappée, d’être envoyée au milieu d’une pièce remplie de monde, surtout à votre âge ; je suis beaucoup plus jeune que vous, et je ne pourrais jamais le supporter.

— Et pourtant il serait de votre devoir de vous y résigner, si vous ne pouviez pas l’éviter ; ce serait mal et lâche à vous de dire : « Je ne puis pas, » lorsque vous sauriez que cela est dans votre destinée. »

Je l’écoutais avec étonnement, je ne pouvais pas comprendre cette doctrine de résignation, et je pouvais encore moins accepter cette indulgence qu’elle montrait pour ceux qui la châtiaient. Je sentais qu’Hélène Burns considérait toute chose à la lumière d’une flamme invisible pour moi ; je pensais qu’elle pouvait bien avoir raison et moi tort ; mais je ne me sentais pas disposée à approfondir cette matière.

« Vous dites que vous avez des défauts, Hélène ; quels sont-ils ? Vous me semblez bonne.

— Alors apprenez de moi à ne pas juger d’après l’apparence. Comme le dit Mlle Scatcherd, je suis très négligente ; je mets rarement les choses en ordre et je ne les y laisse jamais ; j’oublie les règles établies ; je lis quand je devrais apprendre mes leçons ; je n’ai aucune méthode ; je dis quelquefois, comme vous, que je ne puis pas supporter d’être soumise à un règlement. Tout cela est très irritant pour Mlle Scatcherd, qui est naturellement propre et exacte.

— Et intraitable et cruelle, » ajoutai-je.

Mais Hélène ne voulut pas approuver cette addition ; elle demeura silencieuse.

« Mlle Temple est-elle aussi sévère que Mlle Scatcherd ? »

En entendant prononcer le nom de Mlle Temple, un doux sourire vint éclairer sa figure sérieuse.

« Mlle Temple, dit-elle, est remplie de bonté ; il lui est douloureux d’être sévère, même pour les plus mauvaises élèves ; elle voit mes fautes et m’en avertit doucement ; si je fais quelque chose digne de louange, elle me récompense libéralement : et une