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pensées dont j’étais accablée, bien que, selon son habitude, elle fût un peu de mauvaise humeur. Le fait est qu’après ma lutte avec Mme Reed et ma victoire sur elle, la colère passagère d’une servante me touchait peu, et j’étais prête à venir me réchauffer à la lumière de son jeune cœur.

Je jetai donc mes deux bras autour de son cou, en lui disant :

« Venez, Bessie, ne grondez plus. »

Je ne m’étais jamais montrée si ouverte, si peu craintive ; cette manière d’être plut à Bessie.

« Vous êtes une étrange enfant, mademoiselle Jane, me dit-elle en me regardant ; une petite créature vagabonde, aimant la solitude. Vous allez en pension, n’est-ce pas ? »

Je fis un signe affirmatif.

« Et n’êtes-vous pas triste de quitter la pauvre Bessie ?

— Que suis-je pour Bessie ? elle me gronde toujours.

— C’est qu’aussi vous vous montrez bizarre, timide, effarouchée. Si vous étiez un peu plus hardie…

— Oui, pour recevoir encore plus de coups.

— Sottise ! Mais du reste il est certain que vous n’êtes pas bien traitée ; ma mère, lorsqu’elle vint me voir la semaine dernière, me dit que pour rien au monde elle ne voudrait voir un de ses enfants à votre place. Mais venez, j’ai une bonne nouvelle pour vous.

— Je ne le pense pas, Bessie.

— Enfant, que voulez-vous dire ? Pourquoi fixer sur moi un regard si triste ? Eh bien ! vous saurez que monsieur, madame et mesdemoiselles sont allés prendre le thé chez une de leurs connaissances ; quant à vous, vous le prendrez avec moi ; je demanderai à la cuisinière de vous faire un petit gâteau, et ensuite vous m’aiderez à visiter vos tiroirs, parce qu’il faudra bientôt que je fasse votre malle. Madame veut que vous quittiez Gateshead dans un jour ou deux ; vous choisirez ceux de vos vêtements que vous voulez emporter.

— Bessie, dis-je, promettez-moi de ne plus me gronder jusqu’à mon départ.

— Eh bien, oui ; mais soyez une bonne fille et n’ayez pas peur de moi. Ne reculez pas quand je parle un peu haut, car c’est là ce qui m’irrite le plus.

— Je ne crois pas avoir jamais peur de vous maintenant, Bessie, parce que je suis habituée à vos manières ; mais j’aurai bientôt de nouvelles personnes à craindre.

— Si vous les craignez, elles vous détesteront.

— Comme vous, Bessie ?