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des œillets de poète, des primeroses, des pensées des aurones, des aubépines et des herbes odoriférantes ; elles étaient aussi belles qu’avaient pu les rendre le soleil et les ondées d’avril suivis d’un beau matin de printemps ; le soleil perçait à l’orient, faisait briller la rosée sur les arbres du verger, et dardait ses rayons dans l’allée solitaire où nous nous promenions.

« Jane, voulez-vous une fleur ? » me demanda M. Rochester.

Et il cueillit une rose à demi épanouie, la première du buisson et me l’offrit.

« Merci, monsieur, répondis-je.

— Aimez-vous le lever du soleil, Jane ? ce ciel couvert de nuages légers qui disparaîtront avec le jour ? aimez-vous cet air embaumé ?

— Oh ! oui, monsieur, j’aime tout cela.

— Vous avez passé une nuit étrange, Jane.

— Très étrange, monsieur.

— Cela vous a rendue pâle ; avez-vous eu peur quand je vous ai laissée seule avec Mason ?

— Oui, j’avais peur de voir sortir quelqu’un de la chambre du fond.

— Mais j’avais fermé la porte, et j’avais la clef dans ma poche ; j’aurais été un berger bien négligent, si j’avais laissé ma brebis, ma brebis favorite, à la portée du loup ; vous étiez en sûreté.

— Grace Poole continuera-t-elle à demeurer ici, monsieur ?

— Oh ! oui ; ne vous creusez pas la tête sur son compte, oubliez tout cela.

— Mais il me semble que votre vie n’est pas en sûreté tant qu’elle demeure ici.

— Ne craignez rien, j’y veillerai moi-même.

— Et le danger que vous craigniez la nuit dernière est-il passé maintenant, monsieur ?

— Je ne puis pas en être certain tant que Mason sera en Angleterre, ni même lorsqu’il sera parti ; vivre, pour moi, c’est me tenir debout sur le cratère d’un volcan qui d’un jour à l’autre peut faire éruption.

— Mais M. Mason semble facile à mener : vous avez tout pouvoir sur lui ; jamais il ne vous bravera ni ne vous nuira volontairement.

— Oh non ! Mason ne me bravera ni ne me nuira volontairement ; mais, sans le vouloir, il peut, par un mot dit trop légèrement, me priver sinon de la vie, du moins du bonheur.

— Recommandez-lui d’être attentif, monsieur, dites-lui ce que