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— Ah ! vous croyez montrer de la pénétration ; eh bien ! à parler franchement, je connais ici quelqu’un, Mme Poole. »

Je tressaillis en entendant ce nom.

« Ah ! ah ! pensai-je, il y a bien vraiment quelque chose d’infernal dans tout ceci.

— N’ayez pas peur, continua l’étrange Bohémienne, Mme Poole est une femme sûre, discrète et tranquille ; on peut avoir confiance en elle. Mais pendant que vous êtes assise au coin de votre fenêtre, ne pensez-vous qu’à votre future école ! Parmi tous ceux qui occupent les chaises ou les divans du salon, n’y en a-t-il aucun qui ait pour vous un intérêt actuel ? n’étudiez-vous aucune figure ? N’y en a-t-il pas une dont vous suivez les mouvements, au moins avec curiosité ?

— J’aime à observer toutes les figures et toutes les personnes.

— Mais n’en remarquez-vous pas une plus particulièrement, ou même deux ?

— Oh ! si, et bien souvent ; lorsque les regards ou les gestes de deux personnes semblent raconter une histoire, j’aime à les regarder.

— Quel est le genre d’histoire que vous préférez !

— Oh ! je n’ai pas beaucoup de choix ; elles roulent presque toutes sur le même thème : l’amour, et promettent le même dénoûment : le mariage.

— Et aimez-vous ce thème monotone ?

— Peu m’importe ; cela m’est assez indifférent.

— Cela vous est indifférent ? Quand une femme jeune, belle, pleine de vie et de santé, charmante de beauté, douée de tous les avantages du rang et de la fortune, sourit à un homme, vous…

— Eh bien !

— Vous pensez peut-être…

— Je ne connais aucun des messieurs ici ; c’est à peine si j’ai échangé une parole avec l’un d’eux, et quant à ce que j’en pense, c’est facile à dire : quelques-uns me semblent dignes, respectables et d’un âge mûr ; d’autres jeunes, brillants, beaux et pleins de vie ; mais certainement tous sont bien libres de recevoir les sourires de qui leur plaît, sans que pour cela je désire un seul instant être à la place des jeunes filles courtisées.

— Vous ne connaissez pas les messieurs qui demeurent au château ? Vous n’avez pas échangé un seul mot avec eux, dites-vous ? Oserez-vous me soutenir que vous n’avez jamais parlé au maître de la maison ?

— Il n’est pas ici.