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— Et qu’avez-vous fait pendant mon absence ?

— Rien de particulier ; j’ai continué à donner des leçons à Adèle.

— Et vous êtes devenue beaucoup plus pâle que vous n’étiez. Je l’ai remarqué tout de suite ; dites-moi ce que vous avez.

— Je n’ai rien, monsieur.

— Avez-vous attrapé froid la nuit où vous m’avez à moitié noyé ?

— Pas le moins du monde.

— Retournez au salon, vous êtes partie trop tôt.

— Je suis fatiguée, monsieur. »

Il me regarda un instant.

« Et un peu triste, ajouta-t-il ; qu’avez-vous ? dites-le-moi, je vous en prie.

— Rien, rien, monsieur ; je ne suis pas triste.

— Je suis bien sûr du contraire ; vous êtes si triste que le moindre mot amènerait des larmes dans vos yeux ; tenez, en voilà une qui brille et se balance sur vos cils. Si j’avais le temps et si je ne craignais pas de voir apparaître quelque servante curieuse, je saurais ce que signifie tout cela ; allons, pour ce soir je vous excuse ; mais sachez qu’aussi longtemps que mes hôtes seront ici, je vous demande de venir tous les soirs dans le salon ; je le désire vivement ; faites-le, je vous en prie. Maintenant partez, et envoyez Sophie chercher Adèle. Bonsoir, ma… »

Il s’arrêta, mordit ses lèvres et me quitta brusquement.




CHAPITRE XVIII.


Les jours se passaient joyeusement à Thornfield, et l’activité régnait désormais dans le château ; quelle différence entre cette quinzaine et les trois mois de tranquillité, de monotonie et de solitude que j’avais passés dans ces murs ! On avait chassé les sombres pensées et oublié les tristes souvenirs ; partout et toujours il y avait de la vie et du mouvement ; on ne pouvait pas traverser le corridor, silencieux autrefois, ni entrer dans une des chambres du devant, jadis inhabitées, sans y rencontrer une piquante femme de chambre ou un mirliflore de valet.