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— Non.

— Je le pensais, en effet. Et lorsque je vous ai trouvée assise sur cet escalier, vous attendiez votre peuple.

— De qui parlez-vous, monsieur ?

— Eh ! mais des hommes verts. Il y avait un clair de lune qui devait leur être propice ; ai-je brisé un de vos cercles, pour que vous ayez jeté sur mon passage ce maudit morceau de glace ? »

Je secouai la tête.

« Il y a plus d’un siècle, dis-je, aussi sérieusement que lui, que tous les hommes verts ont abandonné l’Angleterre. Ni dans le sentier de Hay, ni dans les champs environnants, vous ne trouverez des traces de leur passage. Désormais le soleil de l’été n’éclairera pas plus leurs bacchanales que la lune de l’hiver. »

Mme Fairfax avait laissé tomber son tricot, et semblait ne rien comprendre à notre conversation.

« Eh bien ! dit M. Rochester, si vous n’avez ni père ni mère, vous devez au moins avoir des oncles ou des tantes ?

— Non, aucun que je connaisse.

— Quelle est votre demeure ?

— Je n’en ai pas.

— Où demeurent vos frères et vos sœurs ?

— Je n’ai ni frères ni sœurs.

— Qui vous a fait venir ici ?

— J’ai fait mettre mon nom dans un journal, et Mme Fairfax m’a écrit.

— Oui, dit la bonne dame qui savait maintenant sur quel terrain elle était ; et chaque jour je remercie la Providence du choix qu’elle m’a fait faire. Mlle Eyre a été une compagne parfaite pour moi, et une institutrice douce et attentive pour Adèle.

— Ne vous donnez pas la peine d’analyser son caractère, répondit M. Rochester. Les éloges n’influent en rien sur mon opinion ; je jugerai par moi-même. Elle a commencé par faire tomber mon cheval.

— Monsieur ! dit Mme Fairfax.

— C’est à elle que je dois cette foulure. »

La veuve regarda avec étonnement et sans comprendre.

« Mademoiselle Eyre, avez-vous jamais demeuré dans une ville ? reprit M. Rochester.

— Non, monsieur.

— Avez-vous vu beaucoup de monde ?

— Rien que les élèves et les maîtres de Lowood et les habitants de Thornfield.