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C’était toujours de bien mauvais goût, du moins ce fut là ma pensée.

Après avoir fini, elle descendit de mes genoux, et me dit :

« Maintenant, mademoiselle, je vais vous répéter quelques vers. »

Choisissant une attitude, elle commença : « La ligue des rats, fable de La Fontaine. » Elle déclama cette fable avec emphase, et en faisant bien attention à la ponctuation. La flexibilité de sa voix et ses gestes bien appropriés, chose fort rare chez les enfants, indiquaient qu’elle avait été enseignée avec soin.

« Est-ce votre mère qui vous a appris cette fable ? demandai-je.

— Oui, et elle la disait toujours ainsi. À cet endroit : « Qu’avez-vous donc ? lui dit un de ces rats, parlez ! » elle me faisait lever la main, afin de me rappeler que je devais élever la voix. Maintenant voulez-vous que je danse devant vous ?

— Non, cela suffit. Mais lorsque votre mère est partie pour la Virginie, avec qui êtes-vous donc restée ?

— Avec Mme Frédéric et son mari ; elle a pris soin de moi, mais elle ne m’est pas parente. Je crois qu’elle est pauvre, car, elle n’a pas une jolie maison comme maman. Du reste, je n’y suis pas restée longtemps. M. Rochester m’a demandé si je voulais venir demeurer en Angleterre avec lui, et j’ai répondu que oui, parce que j’avais connu M. Rochester avant Mme Frédéric, et qu’il avait toujours été bon pour moi, m’avait donné de belles robes et de beaux joujoux ; mais il n’a pas tenu sa promesse, car, après m’avoir amenée en Angleterre, il est reparti et je ne le vois jamais. »

Le déjeuner achevé, Adèle et moi nous nous retirâmes dans la bibliothèque, qui, d’après les ordres de M. Rochester, devait servir de salle d’étude. La plupart des livres étaient sous clef ; une seule bibliothèque avait été laissée ouverte. Elle contenait des ouvrages élémentaires de toutes sortes, des romances et quelques volumes de littérature, des poésies, des biographies et des voyages. Il avait supposé que c’était là tout ce que pourrait désirer une gouvernante pour son usage particulier ; du reste, je me trouvais amplement satisfaite pour le présent ; et, en comparaison des quelques livres que je glanais de temps en temps à Lowood, il me sembla que j’avais là une riche moisson d’amusement et d’instruction. J’aperçus en outre un piano tout neuf et d’une qualité supérieure, un chevalet et deux sphères.

Je trouvai dans Adèle une élève assez docile, mais difficile à