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TROISIÈME PARTIE

Le samedi soir, après leur journée accomplie, souvent elles passent la moitié des nuits pour réparer les vêtements de la famille, elles vont aussi porter au lavoir, leur linge à couler, pour aller le laver le dimanche matin.

Quelle est la récompense d’une de ces femmes ? Souvent anxieuse, elle attend son mari qui s’est attardé dans le cabaret voisin de la maison où il travaille, et ne rentre que lorsque son argent est au trois quarts dépensé. Le boulanger, le charbonnier, l’épicier, il faut payer tous ces gens-là, si l’on veut avoir du crédit ; le malheureux a tout oublié, mécontent de lui-même, lorsqu’il rentre il fait du tapage, maltraite la pauvrette, c’est à peine si elle peut préserver des coups ses enfants. Lui, le lendemain, la cervelle encore troublée des libations de la veille, se lève tard, gronde les enfants s’ils font le moindre mouvement, il n’entend pas qu’on lui trouble son repos. Si le dîner n’est pas prêt à l’heure exacte, il parle en maître ! S’il est à peu près correct, après dîner il reste à la maison, mais s’il est contaminé par l’alcoolisme, il trouve qu’il est le plus malheureux des hommes, que sa maison lui est insupportable, il sort, va chercher des consolations au cabaret. Elle, l’épouse, comme le chien du berger, garde le troupeau. C’est le dimanche, jour du repos pour la malheureuse ! Elles sont légions à Paris, les ouvrières se trouvant dans ces conditions.

Résultat : la misère noire, le suicide, ou la prostitution ce qui est pire encore. Les mots honneur, vertu, foi, sonnent mal aux oreilles de ces déshéritées ; pour