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SIXIÈME PARTIE

milieu des désastres de la rue de Lille et de la rue du Bac. Notre concierge lui dit avoir reçu deux lettres pour nous ; cet ami les demanda pour les remettre à notre famille. La concierge les lui remit. Elle lui dit aussi : « je crois que madame et monsieur sont chez Mme d’Arfeuille, mais je ne sais pas son adresse. »

Par ces lettres j’appris que mon mari n’était pas mort, qu’il avait été fait prisonnier dès l’arrivée des soldats à la prise de Passy. Cette lettre était adressée à ma mère. Naturellement, mon mari ignorait absolument ce qui s’était passé dans notre quartier et aussi ce que j’étais devenue. Cette lettre était écrite au moment de son départ des chantiers. Il ne savait pas encore où on les dirigeait. Il était impossible de lui écrire. Je ne savais donc qu’une chose, il n’était pas mort.

Nous ne savions comment il fallait faire pour avoir son adresse ; mon amie me dit une chose assez raisonnable : « Attendons quelques jours encore, peut-être écrira-t-il de nouveau, je retournerai rue de Lille, je n’ai rien à craindre, tranquillisez-vous, si votre mère n’est pas morte, nous la retrouverons. »

En passant par la rue St-Martin, je vis une affiche collée sur la porte du No 182 : « On demande une bonne piqueuse de bottines pour diriger et préparer le travail à la machine. S’adresser au 4me étage. Noël, fabricant de chaussures de luxe ».

Malgré tous les évènements par lesquels j’avais passé, j’étais toujours timide pour les questions de la vie ordinaire, je n’osais pas me présenter. Enfin, je fis un effort de volonté et je montai, je sonnai ; le cœur