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SIXIÈME PARTIE

que nous. Lorsque nous le quittâmes, il avait de grosses larmes roulant sur ses joues bronzées. Mon petit Breton et moi, nous restâmes les derniers.

Soudain je me souviens de mon cher drapeau et de mon poignard, l’un gardant l’autre. Je ne voulais pas les abandonner. Pour la première fois depuis de longs mois je me suis mise à pleurer. Dans toutes les causes qu’on défend avec amour et avec conviction, il entre toujours un peu de fanatisme.

Ce bon vieux me dit :

— Je vous comprends, je suis un vieux marin et la couleur de mon pavillon était pour moi l’Étoile Polaire ! Je me serais fait tuer pour le défendre, mais, me dit-il, vous ne pouvez l’emporter avec vous ? Qui sait ce qui va vous arriver, sortant d’ici, vous serez peut-être arrêtée, votre drapeau sera pris et vous ne pourrez le défendre. Ici je veux bien tenter de le cacher, mais je ne sais comment tout cela finira !

— Non je ne veux pas vous exposer, mais que faut-il faire ?

— Le brûler… me répondit-il.

Le brûler, cela me semblait un crime, et pourtant en réfléchissant, je me suis décidée. Je défais mon drapeau qui était enroulé autour de ma poitrine. Je me souvins du premier jour où il nous fut remis, frais et brillant, avec son inscription en lettres dorées : « Défenseurs de la République » comme nous étions enthousiastes ce jour-là.

Je me souvins des luttes que nous avions soutenues à l’ombre de ses plis flottants au vent lorsqu’il reçut