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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

À quel degré de bestialité ces malheureux soldats étaient-ils tombés ?

Je continue ma route, je traverse le canal ; dans mon parcours je vois des horreurs. On veut me forcer d’enlever des pavés à chaque barricade, je ne réponds pas, je file ; me prenant pour un gamin on me laisse passer. Inutile de dire qu’entre toutes les barricades il y avait des cadavres, les femmes étaient assez nombreuses. (Ces femmes héroïques, n’étaient pas venues expirer là pour le plaisir, comme l’ont écrit certains écrivains bien pensants. Les courtisannes de haut et bas étage ne seraient pas venues se fourvoyer au milieu de nos luttes, elles n’y auraient rien gagné.)

Je traverse la place du Château d’Eau, même tableau sur tout mon parcours. Les faibles, les lâches et les vainqueurs hissaient des drapeaux tricolores à toutes les fenêtres pour éviter l’invasion de l’armée versaillaise (le drapeau de la France, était le talisman sauveur presque à l’égal du scapulaire des catholiques romains).

Je descends la rue du Temple, la rue Turbigo, je me trouve à l’entrée de la rue St-Martin ; dans toutes ces rues si agitées la veille, il régnait un silence de mort. De place en place, des militaires l’arme au bras, marchent de long en large ; excepté eux, il n’y a pas un chat dehors. Tandis que les jours précédents il avait plu, ce jour-là, le soleil brillait sur toutes ces choses macabres.

Rue St-Martin, je passe devant un poste de police qui se trouvait à gauche ; un agent m’appelle :

— Où vas-tu, camin ? dit-il en mauvais français.