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CINQUIÈME PARTIE

Je n’ose croire que cet homme nous ait trompés en un pareil moment !… Peut être a-t-il été tué !

Lorsque je revins seule et sans argent, on m’a blâmée de ne pas l’avoir accompagné à la caisse !

Quelques-uns des nôtres se fâchèrent ; nous ne restions qu’une quinzaine, triste épave de notre bataillon.

Au boulevard Beaumarchais No 3, en face d’où nous étions campés, il y avait, à l’étage supérieur de cette maison, une personne qui me fit un signe. Je suis montée. Cette dame me dit :

— Voulez-vous quitter la place de la Bastille et rester avec nous ? je vous donnerai des vêtements nécessaires, car maintenant la lutte est inutile.

Je refusai et je dis que nous n’avions pas mangé depuis deux jours, que nos amis avaient faim ! elle m’offrit une collation. J’ai accepté à condition que les cinq camarades qui m’attendaient pussent en profiter ; aussitôt on les fit monter, on nous donna du pain et du fromage, et un verre de vin. Notre collation finie, nous remerciâmes. Cette personne me réitéra sa proposition de rester, j’ai refusé, elle me reconduisit à la porte, et me remit 20 francs dans la main pour nous et les amis absents. Nous étions découragés, nous étions si peu nombreux ! Cependant nous descendîmes le quai du côté du grenier d’abondance. J’ai dit que les lignards s’étaient rendus maîtres de cette place en se faufilant par les rues étroites et en pénétrant par les maisons de la rue Lesdiguières et gagnant les toits du côté du quai. Ce vaste bâtiment était occupé par les fédérés et quelques volontaires, les gardes nationaux