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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

Peu d’instants après cet entretien, nous reçûmes de toutes parts des balles, on tirait sur nous depuis les tourelles de l’église Si-Paul. On se mit sur la défensive. Un des deux artilleurs pointa la pièce, qui, mal équilibrée, chancela au moment où il y mettait le feu, et le pauvre garçon reçut toute la décharge en pleine poitrine ; nous nous empressâmes de le relever et de le conduire dans l’ambulance la plus rapprochée. Cet homme fut un véritable héros. Il n’avait pas le moindre effroi, ni la moindre faiblesse ; sa première parole fut pour exprimer sa joie de donner sa vie pour aider à la fondation de la République et pour la cause juste de l’humanité : « Vive la République, s’est-il écrié. Chère compagne, me dit-il, j’ai encore une heure à vivre, restez près de moi, permettez-moi de mourir entre vos bras, ne m’abandonnez pas et jurez-moi que si vous survivrez, vous chercherez ma femme bien aimée, vous lui direz comment je suis mort pour notre sainte cause, et que ma dernière pensée fut pour elle ; voici son adresse. »

Pendant une heure, assise sur les planches d’une salle d’ambulance, j’ai gardé ce cher mourant couché sur mes genoux, n’osant faire un mouvement de peur d’aggraver sa souffrance ; il fut gai jusqu’à son dernier souffle. « Soyez patiente, me dit-il, encore quelques minutes et tout sera fini. » Je l’encourageais de mon mieux pour qu’il mourût heureux. Il me pria de lui donner un baiser fraternel sur le front, ce que je fis, il me remercia, il eut un dernier soupir et tout fut fini !

Je ne l’ai quitté que lorsque je fus certaine qu’il avait