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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

l’avenir, nous mourons heureux ! Rappelez-vous, petite sœur que les balles mâchées ne pardonnent pas.

— Dans la matinée nous reviendrons, leur dis-je, puis nous les quittâmes.

Je voulais voir ma mère, mais une religieuse me fit comprendre qu’elle se reposait, qu’il valait mieux la laisser tranquille jusqu’au matin, que je pouvais être sans inquiétude, qu’elle était très bien. Nous sommes donc partis.

Nous retournâmes au petit séminaire. Dans le village tout était calme. Nous pûmes constater tous les dégâts produits par les obus versaillais, le séminaire n’avait point été épargné.

Nous passâmes le reste de la nuit à mettre de l’ordre dans nos affaires, nous allions aux nouvelles, nous apprîmes que la défense avait faibli, cependant le fort tenait bon.

Dès l’aurore nous reçûmes l’ordre d’établir un campement dans la grand’rue d’Issy pour protéger la retraite, le cas échéant, et préserver l’entrée de Paris.

Le général La Cécilia venait d’arriver, le colonel Lisbonne avec ses Lascars prit notre place au séminaire.

Dans la matinée du 1er mai, nous sommes allés avec le capitaine Letoux et le sergent Louvel à l’ambulance pour voir nos camarades. En arrivant on nous apprit que pas un seul n’avait survécu, ils étaient tous morts dans la nuit. Nous allâmes dans la salle, tous ces pauvres amis semblaient dormir. Quelle sinistre vision ! Vivrais-je cent ans que je ne pourrais oublier cette effroyable hécatombe.