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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

du soir toutes les boutiques devaient avoir porte close ; pas de lumière dans les rues, cela donnait un singulier aspect, on marchait dans les ténèbres, la ville paraissait étrange. Derrière toutes les fenêtres, on voyait des silhouettes se mouvoir ; il y avait une très grande agitation.

Je frappai à la porte, une personne à l’intérieur me dit : « Qui est là ? » Je reconnus la voix, c’était M. Chevrier.

Je me nommai aussitôt, il m’ouvrit sa porte, ces braves amis m’embrassèrent, il y avait huit années que je ne les avais vus ; ils me firent signe de l’index posé sur les lèvres, pour me recommander le silence.

Toute la maison était pleine de soldats, ils avaient chez eux des officiers, il n’aurait pas été bon pour mon mari, que nous eussions commis une indiscrétion, tous les Allemands étaient furieux contre les francs-tireurs, qui leur avaient donné du fil à retordre.

Dans la salle, sur le billard, il y avait un lit préparé pour coucher, cela m’étonnait, les chefs choisissaient les chambres à leur convenance, s’en emparaient ; les habitants n’avaient qu’à se soumettre, c’était le cas de mes amis, ils couchaient donc sur le billard. À Paris nous avons été assiégés, mais la ville n’a pas été occupée par l’ennemi, j’ai remarqué la différence.

Mes amis me tranquillisèrent sur le sort de mon mari.

Demain, nous causerons mieux, pour ce soir, il faut manger et dormir.

Madame et moi, nous couchâmes sur le billard,