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QUATRIÈME PARTIE

heur, sa surprise fut si grande qu’il ne prononça pas une parole, les yeux hagards, il enveloppa son cher cadavre et s’en alla dans la direction où il était attendu.

Voilà la guerre !!! Nous n’avons rien à envier au temps de la barbarie.

Si je raconte ce terrible voyage, je dois dire qu’à ce triste récit, s’ajoute pour moi une petite joie qui n’aurait eu nulle importance dans la vie ordinaire. Le premier pain que j’ai mangé à Étampes était si blanc, si beau et si bon (tout pur froment) qu’avant et après, je n’en ai jamais mangé de pareil. Le litre de lait que j’avais partagé avec ce malheureux petit être, était si crémeux ! Ce fut toutes mes folies gastronomiques pendant mon voyage, je ne les ai jamais oubliées.

À Orléans tout est bouleversé, les rues sont pleines de Prussiens, ils font un grand bruit, ils battent les pavés de leurs longs sabres. Des sentinelles sont postées à toutes les maisons officielles ; des patrouilles se croisent en tous sens, enfin c’est une ville de guerre ! envahie par les vainqueurs, c’est tout dire.

J’ai beaucoup de peine à me frayer passage pour me rendre dans la rue de Bourgogne, il me faut traverser la ville, c’est difficile ; quoique fatiguée, j’avais hâte de savoir ce qu’il était advenu de mon mari ; j’étais anxieuse. La lettre que j’avais reçue ne disait rien. « Quelle nouvelle vais-je apprendre ? » me disais-je.

Enfin j’arrive chez mes anciens amis, M.  et Mme Chevrier ; ils avaient un café, joli pour Orléans à cette époque ; je trouve la devanture fermée, comme à tous les autres magasins de la ville ; ordre officiel, à 5 heures