CHAPITRE XVIII
22 janvier. Flourens devait aller proclamer la commune à l’Hôtel de Ville, le peuple ne pouvait admettre la capitulation. Vers midi, paraît-il, une délégation devait se présenter, mais je ne me trouvais pas là, ce n’est que plus tard que j’appris ce qui s’était passé.
[Le 22 janvier 1871, dans l’après-midi, arrive place de l’Hôtel-de-Ville, une troupe armée, composée de gardes nationaux de plusieurs bataillons du 17e arrondissement. Cette troupe déboucha sur la place vers les quatre heures accompagnée d’un certain nombre d’officiers ; elle alla se placer sur deux rangs le long de la grille, à quelques pas de celle-ci, en face du poste. Les chefs avaient ordonné de remettre la baïonnette au fourreau en signe de pacification.
Pendant ce temps, une délégation de cette troupe demanda au chef de poste, un adjudant, à être introduite dans l’Hôtel-de-Ville pour s’acquitter de la mission dont elle avait été chargée. Le chef de poste refusa, invoquant la consigne ; ce que voyant, deux ou trois délégués se mirent en devoir d’escalader la grille qui était fermée. Le capitaine Bousquet, d’un des bataillons du 17e arrondissement (Batignolles), y parvint le premier. Au même moment, le chef de poste fit deux ou trois pas en direction de l’entrée de l’hôtel en levant la main comme pour donner un signal. Aussitôt, un coup de feu retentit, suivi d’une décharge de mousqueterie partant du premier étage de l’Hôtel-de-Ville, dont les fenêtres étaient pourtant fermées !
En quelques instants, la place fut balayée ; on voyait, gisant à terre, un grand nombre de tués, parmi lesquels se trouvait Sapia, et beaucoup de blessés. D’autres encore, projetés par terre, n’osaient se relever par crainte de recevoir des balles.
À l’entrée de l’avenue Victoria, à gauche, sur un tas de sable, un certain nombre de personnes, parmi lesquelles se trouvaient des femmes et des enfants, avaient été culbutées, étendues sans mouvement, clouées par la peur.
Pendant cette panique, une des grandes portes de l’Hôtel-de-Ville — peut-être les deux — s’était ouverte et refermée pour permettre une salve de coups de fusils, d’aucuns dirent de mitrailleuses, des gardes mobiles bretons qui occupaient l’édifice.
Le signal du chef de poste n’exclut en rien les ordres qui ont pu être donnés à l’intérieur par Chaudey qui a toujours été tenu pour responsable de ce massacre.
Parmi cette troupe se trouvaient : F. Buisson, actuellement député, son frère, le citoyen Ernest Rozier, le capitaine Dauvergne, du XVIIe arrondissement et plusieurs autres, qui ont été vus dans la déroute, traînant leurs fusils.
Le 22 janvier était un dimanche. Après une matinée brumeuse, l’après-midi fut assez claire. Une foule endimanchée et inoffensive se promenait sur la place étant loin de s’attendre à une telle surprise.
Fait assez curieux à constater : L’horloge de l’Hôtel-de-Ville ayant reçu une balle de ceux qui ripostaient à l’attaque, s’est trouvée arrêtée à 4 h. 20. Elle est restée longtemps dans cet état][1].
Notre compagnie reçut l’ordre d’aller occuper l’avenue Victoria pour prêter éventuellement main forte au gouvernement contre les Bellevillois, car on avait répandu le bruit que les faubourgs allaient envahir l’Hôtel de Ville, et de là le faubourg St-Germain.
Notre colonel s’est refusé à faire ce service. « Nous resterons dans nos quartiers, si vraiment le peuple des faubourgs vient de ce côté nous défendrons nos maisons, voilà tout. Mais, disait-il, le peuple n’est pas encore ici, il crie plus qu’il ne fait de mal. » Et nos hommes restèrent chez eux.
Assurément, s’ils avaient été contre l’Hôtel de Ville, je ne les aurais pas accompagnés.
Il avait plu toute la journée ; vers le soir, il tombait une pluie fine, le pavé était gluant. Je voulus voir ce qui se passait, la place de l’Hôtel de Ville était triste et déserte, les lumières se reflétaient sur les pavés et les trottoirs, il y régnait un silence de mort. Flourens avait dit, paraît-il, qu’il reviendrait avec le
- ↑ Note de Wikisource : Le passage commençant à « Le 22 janvier 1871 » et terminant ici correspond à une page du manuscrit oubliée dans l’édition de 1909 comme signalé sur le blog de Michèle Audin « La Commune de Paris ». Le texte inséré correspond à une retranscription d’une lettre de Victorine Brocher publiée dans Les Temps nouveaux du 2 octobre 1909.