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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

d’amour ; mais il aurait dû s’apercevoir qu’outre l’amour des âmes et l’amour des corps, il y a encore beaucoup d’autres formes du même sentiment ; que l’amour, de même qu’il est commun à tous les êtres, peut s’appliquer à tous les objets (205, B). De plus, nous montrerons tout à l’heure quelles réserves il faut faire sur la distinction de la Vénus Uranie et de la Vénus terrestre (186, A). Éryximaque a eu raison de corriger cette faute ; mais on peut lui reprocher à son tour d’avoir pris le mot amour dans un sens beaucoup trop général. On peut sans doute l’employer pour désigner l’attrait qui porte tout être vers le bien ou le bonheur, mais il en est de ce mot comme du terme poésie, qui désigne en un sens toute espèce de création, mais ne s’applique en réalité qu’aux musiciens et à l’art des vers. Seules, ces espèces reçoivent le nom de tout le genre (205, C). On ne dit pas que les athlètes, les médecins et les hommes d’affaires soient des amants, quoiqu’ils aiment leur propre bien. De plus, Éryximaque suppose que l’amour est l’attrait que le dissemblable exerce sur le dissemblable (186, B). Mais Agathon dira tout le contraire (195, B) avec autant de vraisemblance, et ni l’un ni l’autre n’est vrai. Ce qui aime est tout autre chose que ce qui est aimé, et c’est pour avoir méconnu cette vérité que tant de théories inexactes ont pris naissance (204, C).

Quant à Aristophane, l’idée qu’il exprime sous une forme bouffonne, à savoir que l’amour a pour origine le regret que nous aurions d’avoir perdu une moitié de nous-mêmes, il est contredit par ce fait que nous n’hésitons pas, quand il y a pour nous un avantage à le faire, à sacrifier un membre ou une partie de notre corps atteinte par la maladie (205, D). Bien plus, l’amour peut aller jusqu’au sacrifice complet de notre vie à l’objet aimé, et c’est se faire de ce sentiment une idée singulièrement mesquine et étroite que de lui attribuer avec le poète comique une origine purement égoïste. En outre, l’amour n’est pas le désir de rétablir l’unité primitive, mais le besoin de perpétuer l’espèce par la production d’êtres semblables.

Remarquons qu’Aristophane n’est pas insensible à la critique de Socrate. Platon a soin de nous indiquer qu’après que ce dernier a fini son discours, le poète commence à riposter ;