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PHILOSOPHIE ANCIENNE

vaut que par la fin qu’il poursuit. Il n’est un bien que s’il est au service de ce qu’il y a de meilleur, c’est-à-dire des Idées. C’est pourquoi Socrate ne prétend pas faire un éloge de l’amour ; aussi, en terminant son discours, demande-t-il à Phèdre si ce qu’il vient de dire peut être appelé un éloge. En un mot, si on nous permet d’exprimer ces idées anciennes en langage moderne, la thèse des cinq premiers interlocuteurs est identique à celle qu’ont soutenue certains romantiques et que soutiennent encore implicitement bon nombre d’écrivains. L’amour est un bien par lui-même. La passion justifie tout, le sentiment n’a pas à chercher hors de lui-même sa règle et sa fin. Socrate, au contraire, subordonne le sentiment et la passion à l’Idée, c’est-à-dire à la science ou à la raison. Non seulement Socrate est en désaccord avec les autres convives sur l’idée qu’il convient de se faire de l’amour, mais encore il est aisé de voir qu’il repousse et combat chacune des théories exposées en particulier par chacun d’eux.

Il serait déplaisant de mettre en forme les arguments du Banquet et de substituer une pesante argumentation au discours si vivant et si alerte où s’est jouée la libre fantaisie de Platon. Mais il est bien permis d’indiquer sans les modifier les arguments qu’il oppose en passant à ceux qui ont parlé les premiers. On verra bien qu’il ne s’agit pas dans cette première partie du dialogue de pensées ou de points de vue auxquels Platon se serait arrêté un instant et d’où il serait parti pour s’élever à une conception plus haute, mais bien d’opinions très opposées à la sienne, d’esprit et de tendance tout différents, et qu’il écarte avec autant de force qu’il en a déployé ailleurs contre ses adversaires déclarés. Le discours de Phèdre a eu le tort de considérer, à l’exemple des vieilles cosmogonies ou des premiers systèmes philosophiques, l’amour comme un principe très ancien et antérieur à tous les autres. Agathon le lui reproche (195 B), et soutient qu’il est au contraire le plus jeune ; mais la vérité est qu’il n’est ni l’un ni l’autre ; il est de tous les temps et a pour objet l’immortalité (207, A). Phèdre s’est encore trompé en parlant de la vertu d’Alceste et du courage d’Achille. C’est par le désir de l’immortalité qu’il faut expliquer l’une et l’autre (208, D). Pausanias a eu raison de distinguer deux sortes