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PHILOSOPHIE ANCIENNE

essayer d’en éclaircir quelques-unes, de rappeler certaines explications qui paraissent avoir été un peu oubliées, enfin d’indiquer quelle idée on peut se faire de l’ensemble de l’ouvrage et de démêler quelle a été l’intention principale de son auteur.

I

Un point d’abord est certain et apparaît avec évidence si l’on suit avec un peu d’attention le développement du dialogue. Sur ce qui est ou paraît être l’objet propre de la discussion, c’est-à-dire la nature et la valeur de l’amour, il y a une opposition radicale entre les cinq premiers discours et celui de Socrate. On a quelquefois considéré le Banquet comme un ouvrage écrit en l’honneur de l’amour. Cela n’est vrai que si l’on considère uniquement la première partie de l’ouvrage ; si l’on s’attache à la suite, et surtout au discours de Socrate, on serait plus près de la vérité en disant qu’il est écrit contre l’amour. À vrai dire, il n’est écrit ni pour ni contre, et c’est ce qu’on verra tout à l’heure. Malgré la diversité extrême de leurs points de vue, les cinq premiers interlocuteurs sont d’accord pour dire que l’amour est un dieu, et par là il faut entendre un être parfait et sans défaut. Sur ce point, le médecin naturaliste Éryximaque (186, A) ne s’exprime pas autrement que les poètes Aristophane et Agathon. C’est parce que l’amour est un dieu qu’on peut en faire l’éloge, et par ce mot il faut entendre qu’on célèbre ses mérites ou ses vertus sans faire aucune réserve ; et, de fait, il n’y a pas d’ombre au tableau. Ceux mêmes, comme Pausanias et Éryximaque, qui distinguent deux sortes d’amour, laissent de côté après une simple mention la forme inférieure et célèbrent uniquement la gloire du dieu.

Tout autre est au contraire l’attitude de Socrate. « En effet, dit-il, jusqu’ici, j’avais été assez simple pour croire qu’on ne devait faire entrer dans un éloge que des choses vraies, que c’était là l’essentiel, et qu’il ne s’agissait plus ensuite que de choisir, parmi ces choses, les plus belles, et de les disposer de la manière la plus convenable. J’avais donc grand espoir