Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
PHILOSOPHIE ANCIENNE

Pour achever de comprendre pourquoi Socrate, malgré la force de son esprit et la subtilité de sa dialectique, s’est trouvé impuissant, il n’est pas sans intérêt d’examiner comment ses successeurs Platon et Aristote sont parvenus à résoudre le problème qui l’avait arrêté. L’un et l’autre prennent pour point de départ la proposition essentielle du socratisme ; ils admettent que la science a pour objet des notions générales et qu’il n’y a point de vertu sans la science. Ils sont les vrais continuateurs de Socrate, mais d’abord si la vertu suppose la science, elle ne se ramène pas tout entière à la science. Pour être vertueux il faut savoir, mais il ne suffit pas de savoir. En d’autre termes, la vertu ne dépend pas de l’intelligence ou de la raison toute seule, et c’est pourquoi on ne peut l’enseigner. Il y a dans l’âme une autre partie, une partie irrationnelle dont il faut tenir compte pour définir la vertu. Mais pour justifier cette thèse Platon étudie directement la nature de l’âme où il distingue trois parties. On sait par quel détour, dans les premiers livres de la République, il arrive à cette conclusion après avoir comparé l’âme humaine à une cité et distingué dans la cité humaine trois castes différentes. Aristote arrive à une conclusion toute semblable par un autre chemin et par des considérations, non plus psychologiques, mais métaphysiques, en observant la hiérarchie des êtres et la subordination des formes inférieures aux formes supérieures de l’être.

En second lieu les successeurs de Socrate ne se bornent pas à signaler une différence entre la science et la vertu, ils donnent encore des définitions séparées de la vertu et du bien. C’est Platon qui donne le premier cette définition de la vertu, qui sera conservée par toute la philosophie grecque : la vertu est la fonction propre de chaque être « οἰϰεῖον ἔργον » (Rep., liv. I, fin). La vertu de l’homme est l’exercice de la raison. Cette définition sera reprise et complétée par Aristote. D’autre part le bien est pour Platon soit l’idée du bien, le bien en soi (Rep., liv. VI), objet immuable de la raison, soit, au point de vue purement humain, le bien tel qu’il est défini à la fin du Philèbe à l’aide de cinq éléments différents : le beau, le symétrique, l’intelligence, la science avec l’opinion vraie, les plaisirs purs. Aristote envisage le bien tout autrement. Il le définit par le bonheur, réductible lui-même à l’action conforme