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L’ŒUVRE DE SOCRATE

penche de tel ou tel côté, c’est qu’on croit y trouver une plus grande somme de plaisirs ; car, si les mobiles en présence sont de même nature, c’est une prédominance de quantité qui, seule, pourra assurer la victoire à l’un d’eux. Il est vrai qu’on peut supposer que nous nous trompons dans l’évaluation des plaisirs, parce que leur proximité ou leur éloignement peuvent nous faire illusion, de la même façon que la distance nous fait porter des appréciations erronées sur les dimensions réelles des objets. À cela Socrate répond que, dans ce dernier cas, nous avons un moyen d’éviter toute erreur : c’est de recourir à la mesure. De même quand il s’agit d’évaluer les plaisirs, c’est-à-dire de déterminer ce qui est bien et ce qui est mal, nous devons les mesurer : c’est précisément en cela que consiste la science. Grâce à elle, c’est toujours l’action la plus agréable qui l’emporte, et la science, c’est-à-dire la connaissance de la quantité réelle de plaisir, ne peut-être vaincue. Si nous cédons à l’attrait du mal, c’est donc, en réalité, parce que nous sommes dans l’ignorance ; celle-ci étant supprimée, comme nous voulons toujours notre plus grand bien, c’est-à-dire notre plus grand plaisir, nous irons toujours vers lui, si nous savons où il est. — Cette curieuse démonstration, on le voit, repose sur deux principes : d’abord, que le bien c’est l’agréable ; ensuite, qu’il s’agit d’un même être dans lequel on ne distingue pas plusieurs fonctions ou natures ; c’est-à-dire qu’elle suppose l’unité et dans les motifs d’action et dans l’agent. On n’a pu y échapper qu’en établissant, au sein de ces deux principes, des distinctions que Socrate n’avait pas faites.

Sans contester la valeur de témoignages aussi formels, Ed. Zeller a cru pouvoir trouver dans les textes relatifs à Socrate quelques vues un peu plus élevées et des conceptions moins grossières. Il relève avec complaisance certains textes de Xénophon, d’où il semble ressortir que, tout en professant la théorie de la relativité du bien, Socrate soutenait que certaines choses sont bonnes par elles-mêmes, et contribuent par elles-mêmes à notre perfection intérieure. Ed. Zeller ajoute que ces indications sont très importantes à recueillir, venant de Xénophon, qui était un homme très pratique et un peu terre-à-terre. En somme Ed. Zeller estime que Socrate s’est contredit, puisque d’un côté il aurait professé l’utilitarisme,