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PHILOSOPHIE ANCIENNE

textes, qu’il s’est reconnu lui-même impuissant à constituer la science idéale, telle qu’il l’avait conçue. Rien n’interdit de supposer qu’on doive prendre au pied de la lettre les réticences et les négations si fréquentes attribuées à Socrate par Xénophon et par Platon.

On arrive à la même conclusion si, laissant de côté les témoignages, on examine attentivement quelques-unes des propositions qui paraissent constituer le fond même de l’enseignement de Socrate. La principale de ses thèses était certainement celle de l’identité de la science et de la vertu. Pour être vertueux il faut savoir, et il suffit de posséder la science pour être vertueux. Xénophon le dit expressément et nous en trouvons la confirmation dans le Protagoras de Platon (Protagoras, p. 361 sq.). Enfin Aristote, dont le témoignage en ces questions a une si haute autorité, attribue expressément à Socrate cette même théorie : « Σωϰράτης μὲν οὖν λόγους τὰς ἀρετὰς ᾤετο εἶναι, ἐπιστήμας γὰρ εἶναι πάσας » (Éth. Nicom., VI, 13, 1144, B, 17) ; et il a consacré même à la réfuter le VIe livre de l’Éthique à Nicomaque. Cette thèse signifie que personne n’est méchant volontairement, qu’on ne peut pas vouloir son mal quand on sait de science certaine quel est le bien, ou encore, en d’autres termes, que si, avec le vulgaire on entend par intempérance (ἀϰρασία) l’impossibilité pour un homme qui sait ce qui est bien de résister à ses passions, l’intempérance n’existe pas (ἀϰρασίας οὐϰ οὔσης), et sans doute la contradiction qui existe entre ce passage d’Aristote et celui de Xénophon (Mémorables, IV, ch. 5) où Socrate parle de l’ἀϰρασία, n’est qu’apparente, le mot ἀϰρασία étant pris dans ce dernier témoignage dans son sens large et habituel.

Cependant il ne suffit pas de dire que la vertu est la science, il faut encore indiquer quel est l’objet de cette science. Évidemment, chez Socrate, uniquement préoccupé des choses humaines, comme on l’a vu ci-dessus, il ne s’agit pas de la science en général, mais de la science relative à la conduite de la vie, en d’autres termes de la science du bien. Reste à savoir en quoi consiste le bien et quelle définition Socrate en a donnée. La réponse de Socrate à cette question est formelle : le bien, d’après les Mémorables, c’est l’utile. Il suffit de lire cet ouvrage pour se rendre compte que cette définition du bien