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Protagoras que Platon a eu sous les yeux paraît être la vérité. 161 : ἀρχομένος τῆς ἀληθείας. Cf. 162, A ; 170, E ; 171, C. Comment comprendre l’emploi si fréquent de ce mot, si, dans la pensée de Protagoras, il n’y a que des apparences subjectives ? Démocrite, dans une circonstance analogue, disait au moins que la vérité est profondément cachée. Zeller suppose que le titre de ἀλήθεια pourrait bien être de l’invention de Platon : il croit aussi que Protagoras avait pu déclarer à plusieurs reprises et avec force qu’il se proposait de faire connaître la vérité sur les choses par opposition à l’opinion vulgaire. Ces deux suppositions sont inutiles si notre interprétation est exacte. Il est rigoureusement juste de dire que la sensation est vraie, puisqu’elle a un objet hors de nous, et Protagoras avait bien le droit d’intituler son livre : la vérité, puisque, à chaque instant, nos sensations correspondent exactement à des changements, qui d’ailleurs ne se produiraient pas sans elle. Et de même, le mot vérité ne s’appliquerait pas à la thèse de Protagoras prise dans son ensemble, et dans son opposition à l’opinion vulgaire : il s’agirait de la nature même de la vérité prise en elle-même. Il y a de la vérité comme il y a de l’être dans le système de Protagoras. Rien n’empêche d’ailleurs que Protagoras oppose cette vérité à celle des Éléates, avec laquelle elle forme un parfait contraste. Il se peut aussi, comme on le croit généralement, que le livre appelé ἀλήθεια soit le même que Sextus appelle καταβάλλοντες. Enfin remarquons que Platon, s’il a peut-être modifié l’expression de la pensée de Protagoras (152, A : τρόπον τινα ἄλλον) en disant que l’αἴσθησις est l’ἐπιστήμη, n’en a pas du moins changé la véritable signification, puisque l’αἴσθησις est l’ἀλήθεια (152, C : αἴσθησις ἄρα τοῦ ὄντος ἀεί ἐστι καὶ ἀψευδὴς, et 171, A : τὰ ὄντα δοξάζειν ἅπαντας) : et d’ἀλήθεια à ἐπιστήμη la distance à coup sûr n’est pas grande. Par suite, on peut dire avec Schuster et contre Zeller que, selon Protagoras, il y a une science, au moins une vérité, et que cette vérité coïncide avec l’αἴσθησις : et il faut prendre comme traduisant la véritable pensée de Protagoras les expressions analogues de Platon.

Aristote dit (Métaph., IV, 4, 1007 B) que Protagoras supprime le principe de contradiction. Il se peut, comme le