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DE M. FRANCISQUE BOUILLIER

il est, conclut M. Bouillier, au regard des puissances humaines, la faculté par excellence, au regard de la liberté et de la morale, un devoir.

Cependant la philosophie n’absorbait pas toute l’activité de M. Bouillier. On aurait de lui une idée fort incomplète si on ne tenait pas compte de sa vie académique. Personne n’a été plus que lui animé du zèle académique. Il mérite le nom qu’il donnait lui-même à Fontenelle, « d’Académicien par excellence ».

Avant même d’appartenir à l’Institut, il avait présenté à l’Académie de Lyon un projet de confédération de toutes les sociétés savantes de France sous la direction de l’Institut. Cette idée, nouvelle en apparence, était un retour à une ancienne organisation. Dès le commencement du xviiie siècle, plusieurs Académies avaient été fondées sur le modèle de l’Académie française et de l’Académie des Sciences, dans les principales villes de province. C’étaient presque toujours, à l’origine, des sociétés privées, instituées pour cultiver les Muses et encourager la science. Le roi, sur la recommandation d’un protecteur choisi par elles, grand seigneur ou écrivain illustre, leur accordait par des lettres patentes les privilèges, honneurs et dignités réservés aux Académies parisiennes. Les plus grands écrivains ne dédaignaient pas de prendre part aux travaux de ces sociétés provinciales. Voltaire fit partie d’un grand nombre d’entre elles, et eut une réception solennelle à l’Académie de Lyon. Montesquieu écrivit Lysimaque pour l’Académie Stanislas de Nancy, et lut devant l’Académie de Bordeaux plus de vingt ouvrages, tandis qu’il ne vint que trois fois à l’Académie française et n’y prit jamais la parole.

Les plus favorisées parmi ces Académies étaient affiliées à l’Académie française ou à l’Académie des Sciences par de véritables traités d’alliance. On faisait assaut de politesses et de compliments. Les Académies nouvelles s’intitulaient modestement les filles des Académies anciennes : « Parva sub ingenti matris se sabjicit timbra. » Fontenelle, en répondant, se contentait du titre d’Académie-sœur. L’une d’elles, en Provence, avait même paru disposée à prendre cette parenté fort au sérieux. Elle symbolisait l’Académie française et sa jeune sœur, l’Académie d’Arles, par deux lauriers qu’éclairait un même soleil, sole Joventur eodem. Les filles devaient payer à leur mère, en vertu d’une stipulation inscrite au traité d’alliance, un tribut annuel ou redevance, qui était un ouvrage de prose ou de poésie, et pour l’Académie des Sciences, un mémoire. Les mémoires passaient toujours ; mais la prose ou la poésie étaient quel-