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DE M. FRANCISQUE BOUILLIER

demander grâce pour les vaincus. Sa victoire, chose rare dans les controverses philosophiques, fut définitive ; l’adversaire ne se releva jamais d’une si vive attaque. M. Bouillier avait porté au principe vital un coup mortel.

C’est par la même activité essentielle de l’âme que, dans l’ouvrage intitulé : le Plaisir et la Douleur, M. Bouillier expliquait les phénomènes de la vie affective. En posant ce problème, il inaugurait encore un ordre de recherches tout nouveau. Il ne s’agissait plus des questions, déjà tant débattues dans l’École spiritualiste, de la légitimité de la faculté de connaître ou de la distinction de la psychologie et de la physiologie, ni même de la division des facultés de l’âme. Montrer que le plaisir résulte toujours d’une activité satisfaite et la douleur d’une activité contrariée, et, en reprenant cette doctrine d’Aristote, la fortifier d’arguments nouveaux, la fonder sur l’observation psychologique méthodiquement conduite, résoudre les difficultés qu’elle soulève, ramener enfin toutes les passions, dans leur diversité infinie, à l’unité d’une même loi, et tout expliquer par un même principe, telle est la tâche que M. Bouillier s’était donnée ; il l’a accomplie avec un rare succès et son livre est en quelque sorte, resté classique. Il a eu quatre éditions, dont la dernière a paru en 1891. On a souvent reproché à l’École de Cousin l’abus des formules vagues, l’amour des effets oratoires, la recherche excessive des qualités du style ; ce n’est pas ici le lieu d’examiner si ces reproches ont été quelquefois mérités ; mais il est certain que personne ne pourrait équitablement les adresser à l’auteur du Plaisir et de la Douleur. Cet ouvrage est un modèle d’analyse psychologique exacte et précise, portant uniquement sur des faits bien observés, complétés par des inductions prudentes, enrichis par des rapprochements ingénieux et des applications souvent originales. La psychologie récente traite parfois d’autres problèmes, elle ne les traite pas d’une autre manière et dans un autre esprit : et personne aujourd’hui ne saurait examiner la question étudiée par M. Bouillier sans tenir compte de ses recherches et mettre à profit ses résultats.

Mais l’ouvrage le plus considérable entre tous ceux que laissa M. Bouillier, celui qui a fait connaître son nom dans le monde savant tout entier, c’est le monument qu’il éleva au plus illustre des philosophes français : l’Histoire de la Philosophie cartésienne. L’Académie des Sciences morales et politiques avait proposé, en 1840, comme sujet de concours l’Examen critique de la Philosophie de Descartes, et décerné le prix ex æquo à MM. Bouillier et Bordas-Demoulin. Avant de publier le mémoire qui est devenu